Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Montégut, Hachette, 1867, tome 3.djvu/375

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prix : si féconde en formes changeantes est l’imagination de l’amour, que cela seul est bizarre à l’excès.

Curio. — Voulez-vous aller chasser, Monseigneur ?

Le Duc. — Chasser quelle bête, Curio ?

Curio. — Le cerf.

Le Duc. — Eh ! c’est déjà ce que je fais ; je chasse le plus noble de mes cerfs. Oh ! le jour où mes yeux virent pour la première fois Olivia, il me sembla qu’elle purifiait l’air de toute infection : en ce moment-là même, je fus changé en cerf, et mes désirs, comme des lévriers sanguinaires et cruels, me poursuivent toujours depuis.

Entre VALENTIN.

Le Duc. — Eh bien ! quelles nouvelles me rapportes-tu d’elle ?

Valentin. — Ne vous en déplaise, Monseigneur, je n’ai pu être admis ; mais sa suivante m’a fait cette réponse que je vous rapporte : le ciel lui-même, avant qu’il n’ait connu la chaleur de sept étés, ne contemplera pas son visage à découvert ; mais comme une nonne cloîtrée, elle sortira voilée et arrosera sa chambre une fois par jour de larmes ennemies de ses yeux ; tout cela, pour honorer l’affection qu’elle portait à un frère mort et dont elle voudrait garder éternellement frais le souvenir dans sa mémoire attristée.

Le Duc. — Oh ! celle qui possède un cœur d’une substance assez délicate pour payer cette dette d’amour à un simple frère, comme elle aimera, lorsque la riche flèche d’or aura tué le troupeau de toutes les autres affections qui vivent en elle, lorsque son foie, son cerveau, son cœur, ces trônes souverains, seront tous occupés et remplis par un seul et même roi, doux complément de sa personne ! Allons, précédez-moi vers d’odorants lits de fleurs ; les pensées de l’amour reposent dans la beauté, lorsqu’elles ont pour dais les berceaux des bosquets. (Ils sortent.)