Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Montégut, Hachette, 1867, tome 3.djvu/41

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34 COMME IL VOUS PLAIRA.

une rapidité qui faisait mal à voir : c’est ainsi que le pauvre fou velu, très-observé parle mélancolique Jacques, s’est arrêté sur l’extrême bord du vif ruisseau qu’il augmentait de ses larmes 2.

LE VOEUX DUC. — Mais qu’a dit Jacques ? n’a-t-il pas tiré la moralité de ce spectacle ?

PREMIER SEIGNEUR. — Oh ! oui, par mille comparaisons. D’abord à propos des pleurs qu’il donnait au ruisseau qui n’en avait pas besoin : c Pauvre cerf, a-t-il dit, tu fais un testament à la manière des mondains ; tu donnes ton bien à qui a déjà trop. » Puis, le voyant seul, abandonné et . déserlé de ses amis veloutés : K-C’est juste, a-t-il dit, c’est ainsi que le malheur éloigne le flux des visiteurs. ** Puis voilà qu’un troupeau insouciant et repu passe en bondissant auprès de lui, sans s’arrêter pour lui faire fête : « Oui, a dit Jacques, éloignez-vous, citoyens gras et bien nourris : c’est la coutume ainsi ; pourquoi jetteriez-vous les yeux sur ce pauvre banqueroutier ruiné que voilà ? » C’est ainsi qu’il a continué à percer de ses invectives les mœurs de la campagne, de la ville, de la cour et de la vie même que nous menons, jurant que nous sommes de purs usurpateurs, des tyrans et tout ce qu’il y a de pis, "en venant jeter l’effroi et la mort parmi ces animaux, dans le lieu même de leur séjour natal et naturel.

LE VIEUX DUC — Et l’avez-vous laissé plongé dans cette contemplation ?

SECOND SEIGNEUR. — Oui, Monseigneur, nous l’avons laissé pleurant et moralisant sur le cerf qui gémissait.

LE VIEUX DUC. — Montrez-moi cette place ; j’aime à prendre langue avec lui lorsqu’il est dans ces accès moroses, car alors il est plein de pensées.

PREMIER SEIGNEUR. —■ Je vais vous conduire tout orott vers lui. (Ils sortent.)