Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Montégut, Hachette, 1872, tome 9.djvu/109

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la force morale de l’homme : ton cher amour que tu as juré n’est qu’un creux parjure, puisqu’il veut tuer cette bien-aimée que tu as fait vœu de chérir : ton esprit, cet ornement de la beauté et de l’amour, dénaturé par la conduite des deux autres, pareil à la poudre contenue dans la giberne d’un soldat inexpérimenté, est enflammé par ta propre ignorance, et tu te mutiles avec tes propres moyens de défense. Allons, relève-toi, jeune homme ! elle vit, cette Juliette, pour l’amour de laquelle tu étais comme mort il y a peu de temps ; en bien, tu es heureux de ce côté-là. Tebaldo voulait te tuer, c’est toi qui as tué Tebaldo ; tu es encore heureux par là. La loi qui te menaçait de mort, s’est montrée ton amie, et a changé la mort en exil ; tu es encore heureux en cela. Il té pleut sur la tête une averse de bénédictions ; le bonheur té fait la cour dans son plus bel accoutrement ; mais, pareil à une fillette malapprise et boudeuse, tu fais la moue à ta fortune et à ton amour. Prends garde, prends garde, car les hommes qui agissent ainsi meurent misérables. Va, rends-toi auprès de ta bien-aimée, comme cela avait été décidé, monte dans sa. chambre, va la consoler ; mais fais attention à ne pas rester jusqu’à l’heure où l’on apposte la garde, car alors lu ne pourrais pas sortir pour aller à Mantoue, où tu dois vivre, jusqu’à ce que nous trouvions une occasion de révéler votre mariage, de réconcilier vos parents, d’implorer le pardon du prince, et de te rappeler deux millions de fois plus heureux que tu ne seras parti malheureux. — Marche devant, nourrice : porte mes saluts à ta maîtresse, et recommande-lui d’envoyer de. bonne heure tout son monde au lit, chose à laquelle le lourd chagrin ne les dispose que trop : Roméo va se rendre à votre logis.

LA NOURRICE. — Ô Seigneur, j’aurais pu passer toute la nuit à écouter ces bons conseils : oh, quelle chose c’est que l’instruction ! — Monseigneur, je vais dire à Madame que vous viendrez.

ROMÉO. — Fais, et recommande à ma chérie de se préparer à me gronder.