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AVERTISSEMENT.

nous lisons dans Bandello et dans Shakespeare. Là où Shakespeare s’est envolé dans l’idéal, Bandello est resté ferme dans la réalité. Shakespeare a mis partout des ailes ; passions, caractères, événements, chez lui tout vole, tout se précipite : chez Bandello, tout marche à pied ou sur la plus paisible des montures, même la tendresse des amants, même la tragédie de leur mort. Rien n’est plus romanesque que l’histoire de Roméo et de Juliette telle que Shakespeare nous la présente ; rien n’est plus explicable, moins fortuit que les aventures des deux amants telles que Bandello les raconte.

Et ici je ne puis m’empêcher de me détourner une minute de mon sujet pour faire une observation qui ne s’y rapporte que fort indirectement.. Ce charmant Bandello que si peu de lettrés ont lu, et qui leur ferait cependant passer tant d’heures agréables, est remarquable par deux caractères qui sembleraient devoir s’exclure, et qui sont cependant si bien mêlés ensemble qu’ils ne se distinguent même pas l’un de l’autre : nous sommes, croyons-nous, le premier qui prenions la peine de les séparer. De tous les conteurs italiens, c’est le plus romanesque, en ce sens que c’est celui qui possède la collection la plus rare de belles histoires, sans en excepter Boccace, et cependant, c’en est aussi le plus familier. Toutes ses nouvelles sont de véritables petits romans d’aventure, et les anecdotes facétieuses même qu’il a racontées (en moins grand nombre que son célèbre devancier) sont marquées de ce cachet de l’exceptionnel, du singulier qui est l’âme du romanesque ; dans toutes le hasard cruel ou malin est le moteur invisible d’accidents qui défient la logique humaine. En outre les passions y sont montées à un ton qui semblerait devoir nécessairement appeler une expression fortement dramatique. Ce ne sont que vengeances atroces, meurtres implacables, empoisonnements multipliés, coups de dague dans l’ombre. Eh bien, rien de tout cela ne nous étonne