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ROMÉO ET JULIETTE.

rencontrent ceux de Juliette qui de son côté passant en revue les hôtes de son père, s’est arrêtée sur Roméo avec plus de complaisance que sur les autres. Rien d’extraordinaire comme vous le voyez ; c’est ce qui se passe tous les jours dans tout bal ou toute réunion quelconque. Un jeune homme, une jeune fille se regardent, se trouvent à leur gré ; c’est un simple attrait qui peut être le commencement de l’amour, mais qui n’est pas l’amour. La première déclaration, si cela peut s’appeler une déclaration, vient de Juliette, et cette déclaration est enveloppée dans une de ces plaisanteries que la plus innocente des femmes peut se permettre dans l’animation d’une fête. Le hasard d’une danse la place entre Roméo et un cavalier nommé Marcaccio (le Mercutio de Shakespeare), personnage très-bien vu des demoiselles de Vérone pour ses qualités de boute-en-train, mais qui était affligé d’une singulière particularité physique : il avait toujours les mains froides. La main de Roméo est brûlante, celle de Marcaccio glacée, en sorte que Juliette placée entre ce feu et cette glace en tire l’occasion d’une plaisanterie qui motive un léger serrement de main, et alors à l’attrait de tout à l’heure succède le trouble inévitable de la nature. Le bal se termine, et les deux amants, après s’être renseignés l’un sur l’autre auprès de leurs amis, se retirent tristement en songeant aux obstacles que l’inimitié de leurs familles apporterait à une passion qui doit être reléguée par eux dans la région des chimères. Mais la jeunesse a cela de particulier qu’elle marche d’elle-même au-devant de ce qu’elle désire, même lorsqu’elle ne croit pas à la réalisation de ses espérances. C’est ainsi que rêveusement, et par distraction, Juliette soulève souvent le rideau de sa fenêtre, ou s’accoude, à son balcon pour regarder dans la rue ; c’est ainsi que les pieds de Roméo le portent d’eux-mêmes sans participation de sa volonté vers l’endroit où demeure Juliette, et qu’ils s’arrêtent d’eux-mêmes aussi