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Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Montégut, Hachette, 1872, tome 9.djvu/30

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boit le poison dont il s’est muni à Mantoue chez un Spolétin « qui avait dans sa boutique des aspics vivants et autres serpents», et après avoir remis à son domestique la lettre pour son père, il le prie de le laisser mourir auprès de Juliette. Rien, on le voit, dans le Roméo mourant de Bandello ne ressemble au Roméo du dénoûment de Shakespeare, si frénétique dans son désespoir. Pas de comte Paris tué, pas de valet congédié avec menaces. Ce n’est pas le jeune patricien de Shakespeare que la douleur pousse à la colère et dont le désespoir réveille l’orgueil ; c’est un gentil jeune italien, que sa douleur dépouille de tout autre sentiment, et laisse à la merci des faiblesses qui sont communes à tous les hommes. Nulle trace d’orgueil, nul souvenir de son rang ; il pleure, et sanglote, comme ferait le premier venu, comme ferait son valet Pierre, dont il prend congé si affectueusement. Un trait caractéristique de l’Italie, c’est que la passion y ramène à l’égalité de la nature humaine générale les hommes de toute condition. Du grand seigneur le plus fier, il ne reste qu’un homme, dès que la douleur, l’amour ou la haine l’ont touché. En cela, le Roméo de la dernière scène de Shakespeare, si violent et presque dur, est plus un grand seigneur anglais formé par les habitudes féodales qu’un jeune patricien formé par des mœurs familières et pleines de bonhomie jusque dans leurs orages des municipalités italiennes. C’est là peut-être le seul point où Shakespeare n’ait pas saisi cette nature italienne que pour tout le reste il a si merveilleusement deviné. Cependant Juliette s’est réveillée sous l’étreinte des embrassements de Roméo et la chaude pluie de ses larmes. Ici se rencontre un détail qui pourra paraître choquant au goût français, mais où se révèle bien encore la simplicité si nue, si voisine de la nature qu’elle en est presque cynique, qui distingue la classique Italie. Juliette se sentant embrassée se figure que ces baisers sont le fait de frère Laurent, qui, venu pour la transporter hors du caveau, aura