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Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Montégut, Hachette, 1872, tome 9.djvu/32

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Au siècle dernier, le grand comédien Garrick, à qui la gloire de Shakespeare dut sa première résurrection après la longue éclipse qu’elle avait subie pendant la période classique, prit la responsabilité de substituer la conclusion de Bandello au dénoûment du poète ; et voici les réflexions que nous inspirait naguère cette substitution. Nous demandons au lecteur de faire pour Roméo et Juliette ce que nous avons fait pour Macbeth, et de profiter une fois, encore du bénéfice de nos travaux antérieurs. Garrick, comme on le sait, a permis aux deux amants les douceurs d’un dernier embrassement ; Juliette a le temps de se réveiller, avant que Roméo ait rendu l’âme, et le spectateur se sent heureux que dans leur infortune les deux amants aient au moins cette consolation de pouvoir mourir ensemble. Le dénoûment inexorable du grand poète est donc moins bien conçu, au point de vue de la scène, que l’ingénieux et sentimental dénoûment de Garrick, car il glace et comprime le cœur, au lieu d’ouvrir une issue aux larmes et de soulager, ainsi le spectateur du poids de ses émotions. Mais comme il est autrement pathétique et tragique ! Comme il est mieux d’accord avec la poésie et le bon sens ! Changer le dénoûment de Shakespeare, c’est changer le caractère de la pièce entière, n’en déplaise à l’ombre de Garrick, Roméo et Juliette doivent mourir l’un, après l’autre, et non en même temps. Je m’étonne qu’on n’ait pas encore fait à cet égard une observation qui se présente cependant tout naturellement à la pensée. « La mort de Roméo et de Juliette résume de la manière la plus douloureusement précise leur vie et leur amour. Ils meurent comme ils ont vécu, séparés par une cloison mince comme une toile d’araignée, à la fois très près et très loin l’un de l’autre. Naguère ils vivaient côte à côte, ils étaient enfants de la même ville, leurs maisons se touchaient, leurs conditions étaient égales, et cependant