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Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Montégut, Hachette, 1872, tome 9.djvu/425

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quand bien même ses attaches seraient les fibres de mon cœur, je la lâcherais, et je la laisserais sous le vent, libre de chercher proie à l’aventure [5]. C’est peut-être parce que je suis noir, et que je n’ai pas ces dons doucereux de conversations que possèdent les Messires de boudoir ; c’est peut-être parce que je descends la pente des années, — mais ce n’est pas encore très-sensible : allons, elle s’est détachée ; je suis trompé, et ma seule consolation doit être de l’exécrer. Ô malédiction du mariage ! faut-il que nous puissions nous dire les maîtres de ces délicates créatures, et non de leurs appétits ! J’aimerais mieux être un crapaud, et vivre des vapeurs d’une prison, que d’abandonner un coin de la chose que j’aime à l’usage d’autrui. Cependant, c’est là la malédiction des grands ; ils ont moins de privilèges que les gens bas ; c’est une destinée aussi inévitable que la mort : ce malheur cornu nous est prédestiné à l’heure même où nous venons au monde. Voici Desdémona qui vient ; — si elle est perfide, oh bien alors, le ciel se moque de lui-même ! je ne puis pas le croire.

Rentrent DESDÉMONA et EMILIA.

DESDÉMONA. — Eh bien, que se passe-t-il donc, mon cher Othello ? Votre dîner et les nobles insulaires que vous avez invités attendent votre présence.

OTHELLO. — Je suis à blâmer.

DESDÉMONA. — Pourquoi parlez-vous d’une voix si faible ? Est-ce que vous n’êtes pas bien ?

OTHELLO. — J’ai mal au front, là.

DESDÉMONA. — C’est excès de veilles ; cela va se dissiper ; laissez-moi seulement le bander serré, et d’ici à une heure tout ira bien.

OTHELLO. — Votre mouchoir est trop petit. (Il enlève le mouchoir de son front : elle le laisse tomber.) Laissez cela. Allons, je vous suis.

DESDÉMONA. — Je suis vraiment chagrine que vous ne soyez pas bien. (Sortent Othello et Desdémona.)

EMILIA. — Je suis charmée d’avoir trouvé ce mouchoir :