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Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Montégut, Hachette, 1872, tome 9.djvu/451

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moi ; si vous avez perdu son amitié, je l’ai bien perdue moi aussi.

OTHELLO. — Quand bien même il aurait plu au ciel de m’éprouver par le malheur ; quand bien même il aurait fait pleuvoir sur ma tête nue toutes sortes de maux et de hontes ; quand bien même il m’aurait enfoncé dans la pauvreté jusqu’aux lèvres ; quand bien même il m’aurait réduit en captivité avec mes dernières espérances, j’aurais encore pu trouver dans un coin de mon âme une goutte de patience : mais hélas ! faire de moi le mannequin en vue de son temps, la figure que le mépris désignera de son doigt levé avec lenteur ! — Cependant j’aurais pu supporter encore cela ; bien, très-bien : mais être chassé du sanctuaire où j’ai déposé mon cœur, du sanctuaire où il me faut vivre, ou bien renoncer à la vie, de la fontaine d’où coule mon courant, sans quoi il se dessèche ! en être chassé, ou bien conserver cette fontaine comme, une citerne pour que de sales crapauds aillent s’y accoupler et engendrer ! — Ô Patience, jeune chérubin aux lèvres de rose, change de couleur devant ce spectacle, et prends une physionomie sombre comme l’enfer !

DESDÉMOTA. — J’espère que mon noble Seigneur m’estime honnête.

OTHELLO. — Oh, oui, comme les mouches d’été dans les boucheries, qui à peine pondues s’accouplent déjà. Ô fleur, si gracieusement belle, si délicieusement odorante que les sens sont enivrés de toi, pourquoi es-tu jamais née !

DESDÉMONA. — Hélas ! Quel péché d’ignorance ai-je donc commis ?

OTHELLO. — Ce superbe vélin, ce livre admirable était-il donc fait pour qu’on écrivit dessus « putain ? » Ce que vous avez commis ! commis ! Ô prostituée publique, si je disais ce que tu as fait, mes joues en deviendraient rouges comme des forges, et réduiraient en cendres toute pudeur. Ce que tu as commis ! mais le ciel s’en bouche le nez, la lune en ferme les yeux ; le vent libertin qui baise tout ce qu’il rencontre s’en cache dans les profondeurs de la terre.