Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Montégut, Hachette, 1873, tome 10.djvu/50

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ma fortune contre votre diamant, gage qui dans mon opinion dépasse quelque peu sa valeur : mais je fais ce pari plutôt contre votre confiance que contre sa réputation ; et, de crainte de vous offenser, je vous dirai que j’oserais tenter l’épreuve contre toute Dame au monde.

POSTHUMUS. — Votre persuasion téméraire vous abuse grandement ; et je ne doute pas que vous ne reçussiez ce dont vous rendrait digne votre entreprise.

IACHIMO. — Quoi donc ?

POSTHUMUS. — Un échec ; bien que votre entreprise, comme vous l’appelez, méritât davantage, — méritât un châtiment aussi.

PHILARIO. — Gentilshommes, assez sur ce sujet : cette discussion s’est engagée trop soudainement ; qu’elle meure comme elle est née, et, je vous en prie, faites meilleure connaissance.

IACHIMO. — Plût au ciel que j’eusse engagé ma fortune et celle de mon voisin sur la certitude dont j’ai parlé !

POSTHUMUS. — Sur quelle Dame tomberait votre choix pour cette tentative ?

IACHIMO. — Sur la vôtre, dont vous tenez la constance pou.r-.si sûre. Recommandez-moi à la cour où vit votre Dame, et je gage dix mille ducats contre votre bague, que, sans autre avantage que l’opportunité d’une seconde conférence, je vous rapporterai cet honneur que vous vous figurez si bien gardé.

POSTHUMUS. — J’engagerai de l’or contre votre or : quant à ma bague, je la tiens pour aussi chère que mon doigt ; elle en est une partie.

IACHIMO. — Vous avez peur, et vous n’en montrez que mieux en cela votre sagesse. Quand vous achèteriez de la chair de Dame à un million l’once, vous ne pourriez l’empêcher de se corrompre ; mais je vois que vous avez en vous quelque religion, puisque vous avez de la crainte (a).

POSTHUMUS. — Ce n’est là chez vous qu’une manière

(a) Plaisanterie qui fait allusion à l’adage : la crainte de Diea est le commencement de la sagesse.