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Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Montégut, Hachette, 1873, tome 10.djvu/58

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IMOGÈNE. — Sur quoi vous apitoyez-vous, Seigneur ?

IACHIMO. — Je m’apitoie dé tout mon cœur sur deux créatures.

IMOGÈNE. — Suis-je l’une d’elles, Seigneur ? Vous me regardez : quel délabrement remarquez-vous en moi qui mérite votre pitié ?

IACHIMO. — Lamentable ! Eh quoi ! se cacher du radieux soleil, et trouver joie dans une prison éclairée par une chandelle !

IMOGÈNE. — Je vous en prie, Seigneur, veuillez faire accorder vos réponses plus directement à mes demandes. Pourquoi vous apitoyez-vous sur moi ?

IACHIMO. — Parce que d’autres peuvent.... j’étais sur le point de dire jouir de votre.... mais c’est l’office des dieux de venger cela, et ce n’est pas le mien de le révéler,

IMOGÈNE. — Vous semble/, connaître quelque chose sur moi, ou me concernant : je vous en prie, — puisque douter si les choses vont mal cause souvent plus de souffrance que d’être sûr qu’elles vont mal en effet ; car les choses certaines, ou bien sont sans remède, ou bien connues à temps peuvent trouver leur remède, — découvrez-moi quel est ce secret que vous poussez en avant et puis que vous arrêtez court.

IACHIMO. — Si j’avais cette joue pour y baigner mes lèvres, cette main dont l’attouchement, dont chaque attouchement forcerait à un serment de fidélité l’âme de celui qui le recevrait, si je possédais cet objet qui fait prisonnier le mobile regard de mon œil, rien qu’en le fixant sur lui ; et si néanmoins — maudit que je serais — mes baisers étaient esclaves de lèvres aussi banales que les degrés qui conduisent au Capitule, si j’échangeais des étreintes avec des mains rendues calleuses par les étreintes menteuses de toutes les heures, — par le mensonge répété jusqu’à en être un travail, — si je me mirais dans des yeux vulgaires et sans lustre, pareils à la lumière fumeuse engendrée par un suif puant, il serait bien juste que tous les fléaux de l’enfer punissent à un moment donné une telle trahison.