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ACTE I, SCÈNE I.

nous à main armée, et par voie de contrainte, les susdites terres, ainsi perdues par son père ; et c’est là, je crois, la cause majeure de nos préparatifs, l’origine de ces gardes que nous montons, et le grand but de ce train de poste et de ce remue-ménage que vous voyez par tout le pays.

bernardo. — Je pense que ce ne peut être autre chose, et cela s’accorde bien avec cette figure d’augure étrange qui passe, armée, au milieu de notre veille, si semblable au roi qui était et est encore l’occasion de ces guerres.

horatio. — Ah ! cela, c’est un grain de poussière qui tombe dans l’œil de l’esprit, pour l’inquiéter. Au temps de la plus grande et plus florissante force de Rome, un peu avant que le très-puissant Jules-César ne tombât, les sépulcres se dépeuplèrent, et les morts en linceul s’en allaient, criant et gémissant par les rues de Rome ; on voyait des étoiles avec des queues de flamme, et des rosées de sang, et des ravages dans le soleil ; et l’humide planète, dont l’influence régit l’empire de Neptune, était atteinte d’une éclipse presque comme si c’eût été le jour du jugement. Eh bien ! ce sont de semblables signes précurseurs d’événements terribles, comme des hérauts qui ouvrent la marche des destins, comme un prologue du sort qui s’avance, c’est là ce que le ciel et la terre tout ensemble viennent de montrer dans nos climats et à nos concitoyens. (L’ombre reparaît.) Mais, silence ! voyez : le voilà. Il revient encore. Je veux me mettre devant lui, dût-il m’anéantir ! Arrête, illusion ! si tu as un son, une voix dont tu fasses usage, parle-moi.

S’il y a quelque chose de bien à faire qui puisse compter pour ton soulagement et pour mon salut, parle-moi.

Si tu es dans le secret des destins de ta patrie, et que, pour notre bonheur, la prescience puisse les faire éviter, oh ! parle.

Ou si, pendant ta vie, tu as enfoui dans le sein de la terre quelque trésor extorqué, ce pourquoi, dit-on, vous autres esprits, vous errez souvent, tout morts que vous êtes, dis-le-moi. Arrête-toi et parle. (Le coq chante.) Arrêtez-le, Marcellus.