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TROISIÈME HISTOIRE TRAGIQUE.

autre saison plus opportune où nous pourrons communiquer plus privément de nos affaires.

Rhoméo se sentant pressé de partir avec la compagnie, sans savoir par quel moyen il pourrait revoir quelque autre fois celle qui le faisait vivre et mourir, s’avisa de demander à quelque sien ami qui elle était, lequel lui fit réponse qu’elle était fille de Capellet, maître de la maison où avait été fait ce jour le festin, lequel indigné outre mesure de quoi la fortune l’avait adressé en lieu si périlleux, jugeait en soi-même qu’il était presque impossible de mettre fin à son entreprise. Juliette, convoiteuse d’autre côté de savoir qui était le jouvenceau qui l’avait tant humainement caressé le soir, et duquel elle sentait la nouvelle plaie en son cœur, appela une vieille dame d’honneur[1] qui l’avait nourrie et élevée de son lait, à laquelle elle dit, étant appuyée : « Mère, qui sont ces deux jouvenceaux qui sortent les premiers avec deux torches devant ? » À laquelle la vieille répondit, selon le nom des maisons dont ils étaient issus. Puis elle interrogea derechef : « Qui est ce jeune qui tient un masque en sa main, et est vêtu d’un manteau de damas ? — C’est, dit-elle, Rhoméo Montesche, fils du capital ennemi de votre père et de ses alliés. »

Mais la pucelle, au seul nom de Montesche, demeura toute confuse, désespérant du tout de pouvoir avoir pour époux son tant affectionné Rhoméo pour les anciennes inimitiés d’entre les deux familles : néanmoins elle sut (pour l’heure) si bien dissimuler son ennui et mécontentement, que la vielle ne le put comprendre, mais lui persuada de se retirer en sa chambre pour se coucher, à quoi elle obéit ; mais étant au lit, et cuidant prendre son accoutumé repos, un grand tourbillon de divers pense-

  1. La nourrice, dans le drame.