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TOUT EST BIEN QUI FINIT BIEN.

LE ROI.

— Le titre qui lui manque pour être honorée par toi, — je puis le créer ! Chose étrange que nos sangs divers — qui, pour la couleur, le poids et la chaleur, une fois versés pêle-mêle, — n’offriraient aucune différence, établissent entre nous — de si vastes distinctions ! Si elle est tout à fait vertueuse et si tu la dédaignes par cette seule raison — qu’elle est la fille d’un pauvre médecin, tu dédaignes — la vertu pour un nom. Va, n’agis point ainsi. — Quand des actes vertueux procèdent d’un rang infime, — le rang est ennobli par la conduite de leur auteur. — Être enflé de titres pompeux et manquer de vertu, — c’est avoir l’honneur hydropique. Le bien — est le bien, sans nom ; le mal de même. — C’est par la qualité qu’il faut classer les choses, — non par l’épithète… Elle est jeune, sage et belle : — c’est là l’héritage direct qu’elle tient de la nature, — et il constitue l’honneur. Il n’a de l’honneur que le rebut, — celui qui se prétend l’enfant de l’honneur — et qui ne ressemble pas à son père. L’honneur du meilleur aloi, — nous le dérivons de nos actes, — et non de nos aïeux. Quant au mot honneur, ce n’est qu’un esclave — prostitué à toutes les tombes ! c’est un trophée menteur — qu’on verra sur le moins digne sépulcre et qui trop souvent se taira — pour laisser la poussière et l’oubli maudit ensevelir — des ossements honorés ! Que te dirai-je ? — Si la vierge te plaît dans cette créature, — je puis créer le reste ; sa vertu et sa personne, — voilà la dot qu’elle apporte ; les titres et la richesse, voilà celle que je lui donne.

BERTRAND.

— Je ne puis l’aimer, et je ne ferai pas d’efforts pour y parvenir.

LE ROI.

— Tu te ferais injure s’il te fallait un effort pour cela.