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LA SAUVAGE APPRIVOISÉE, ETC.
autant, — si je t’adressais une pareille question ? — Voyons, si le fils unique du duc de Cestus — cherchait à m’enlever l’amour de Philema, — en la faisant duchesse d’une si majestueuse cité, — est-ce que tu ne m’abandonnerais pas pour lui ?
PHILEMA.

— Non ! ni pour le grand Neptune, ni pour Jupiter lui-même, — Philema ne renoncerait pas à l’amour d’Aurelius. — Quand un autre pourrait m’introniser impératrice de l’univers — ou me faire reine et souveraine des cieux, — je n’échangerais pas ton amour pour le sien. — Ta société est le ciel de la pauvre Philema, — et sans toi le ciel serait pour moi l’enfer.

ÉMILIA.

— Et si mon bien-aimé, comme autrefois Hercule, — avait pénétre sous les voûtes brûlantes de l’enfer, — je voudrais avec des regards lamentables et de séduisantes paroles, — comme jadis Orphée avec son harmonie — et les sons ravissants de sa harpe mélodieuse, — attendrir le sinistre Pluton et obtenir de lui — que tu pusses sortir et revenir sain et sauf !

PHILEMA.

— Et si mon bien-aimé, comme autrefois Léandre, — tentait de traverser à la nage l’Hellespont écumant — pour l’amour de son Héro, il n’est pas de tour de cuivre qui m’arrêterait. — Je te suivrais à travers les flots furieux, — avec mes cheveux épars et ma poitrine toute nue. — Puis, ployant le genou sur la plage d’Abydos, je voudrais à force de soupirs sombres et de larmes amères, — décider Neptune et les dieux marins — à dépêcher une garde de dauphins aux écailles d’argent — et de Tritons résonnants pour nous servir de convoi — et nous transporter sûrement à la côte, tandis que, suspendue à ton cou adorable, — et prodiguant à tes joues baisers sur baisers, — je calmerais les vagues irritées par la vue de notre bonheur !

ÉMILIA.

— Si Polidor, comme jadis Achille, — se consacrait à la carrière des armes, — pareille à la reine martiale des Amazones, — à cette Penthésilée, amante d’Hector, — qui renversa le sanglant Pyrrhus, ce Grec meurtrier, — je me jetterais au plus épais de la mêlée, — et j’assisterais mon bien-aimé de toutes mes forces.

PHILEMA.

— Qu’importe qu’Éole se déchaîne, si tu es doux et serein ; — que Neptune se soulève, si Aurelius est calme et content ; — je ne m’en soucie pas, moi ! Advienne que pourra ! — Que les Destins et la Fortune se conjurent pour mon malheur ! — je ne m’en inquiète pas ; ils ne sont pas en désaccord avec moi, — tant que mon bien-aimé et moi nous sommes en harmonie.

AURELIUS.

— Suave Philema, mine de beauté, — d’où le soleil aspire son glorieux éclat, — pour parer le ciel du reflet de tes rayons, — Ah ! ma tendre amie, le temps approche — où l’hymen, revêtu de sa robe safranée, — doit te faire escorte avec ses torches, — brillantes comme les frères d’Hélène au-dessous du croissant. — Alors, Junon, j’ajouterai à tes fidèles — la plus belle fiancée qu’ait jamais eue marchand !