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DE PERCY BYSSHE SHELLEY

» Arrête-toi ici, Alexy, c’est ce que tu as de mieux à faire, ton lit est le tombeau, ta fiancée est le ver ; et pourtant jadis tu te tenais droit, ta joue était animée d’une joyeuse ardeur, ton œil pétillant disait ce que concevait ta tête, ce que sentait ton cœur, tes membres n’étaient que vigueur, qu’activité ; ta poitrine se dilatait de fierté, d’ambition, de passion, chacun de tes nerfs vibrait de sensation, chacun de tes muscles se tendait pour l’action.

» Haïmatoff, tout est flétri en toi, ample tissu de vie sur lequel étaient brodés les lettres joyeuses, les charmants dessins du plaisir : comme la chenille rongeuse après ses ébats sur toi ! Haïmatoff, comme la flamme dévorante a noirci les plaines, jadis toutes jaunes de moissons ! le simoun, baleine desséchante du désert, a balayé les plaines riantes ; le tapis de verdure s’est enroulé à son approche, et a laissé à nu ta désolation. Ô daim frappé à mort, ton vêtement de cuir, ta peau mouchetée pend en lambeaux autour de toi ; c’était une flèche mortelle ; comme tu as été dénudé, ô chêne calciné, comme le rouge éclair a bu ta sève, Haïmatoff, Haïmatoff, que ton âme soit dévorée par les tourments. Que l’incommensurable océan roule entre toi et ton orgueil : vous ne devez plus habiter ensemble. »

L’épisode de Viola est touchant, naturel et beau. Nous ne nous souvenons pas d’avoir vu l’inflexible morgue de l’honneur familial représentée d’une manière plus terrible. Après la mort de son amant, Viola espère encore qu’il l’estimera, elle s’encou-