Page:Shelley - Œuvres en prose, 1903, trad. Savine.djvu/55

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
38
ŒUVRES EN PROSE

mais le superflu qu’alors on enlèverait aux riches serait suffisant quand il serait réparti sur une grande étendue, pour donner à tous le confortable. Nul amant ne serait alors trompeur envers sa maîtresse, nulle maîtresse ne pourrait abandonner son amant. Aucun ami ne jouerait un faux personnage, pas de rentes, pas de dettes, pas de taxes, pas de fraudes d’aucune sorte pour troubler le bonheur général. Vertueux comme on le serait, sage comme on le serait, on chercherait à devenir chaque jour meilleur et plus sage. Il n’y aurait plus de mendiants ; on ne verrait plus de ces malheureuses qui sont réduites à la misère et au vice les plus horribles par des hommes que leur fortune rend vils et endurcis : plus de voleurs, plus d’assassins, car la pauvreté ne contraindrait plus un homme à priver autrui de son bien-être, alors qu’il en aurait assez pour lui-même. Vice et misère, pompe et pauvreté, commandement et obéissance, seraient bannis en même temps.

C’est à un pareil état de choses, ô Irlandais, que je vous exhorte à vous préparer. « Un chameau passerait plutôt par le trou d’une aiguille qu’un riche n’entrerait dans le royaume des cieux. » Cela ne doit pas s’entendre à la lettre. Jésus-Christ, selon moi, a voulu dire simplement que la richesse a pour effet ordinaire d’endurcir et de corrompre le cœur ; il en est de même de la pauvreté. Je crois donc bien sots, et incapables de voir un pouce plus loin que leur nez, ceux qui disent que la nature humaine est dépravée, quand, en même temps les deux grandes sources du crime, la richesse et la