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REINE MAB 71

reposent loin de l’éternité de fatigue qui a construit l’édifice de ta perfection.

« Le Temps lui-même, ce conquérant, a eu peur et t’a fuie ; ce géant blanchi qui dans son orgueil solitaire a si longtemps gouverné le monde que les nations se sont écroulées sous son pas silencieux. Les Pyramides qui pendant des millenium ont résisté à la marée des choses humaines, son souffle de tempête les a réduites en sable, en travers de ce désert où leur masse de pierre faisait survivre le nom de celui dont l’orgueil les y avait élevées. Ce monarque , là-bas, dans sa pompe solitaire, n’était que le champignon d’un jour d’été, que ses pas ailés de lumière ont réduit en poussière. Le Temps était le roi de la terre ; toutes choses ont passé devant lui, excepté la volonté ferme et vertueuse, les sympathies sacrées de l’âme et des sens, qui se moquaient de sa furie, et préparaient sa chute.

« Cependant lent et graduel luisait le matin de l’amour ; longtemps les nuages de ténèbres se sont étendus sur la scène jusqu’au jour où ils s’enfuirent de leur ciel natif. D'abord, le Crime triomphant de toute espérance poursuivit sa carrière sans pudeur, sans déguisement, hardi et fort ; et le Mensonge, paré des attributs de la Vertu, sanctifia longtemps toutes les actions du vice et de la misère, jusqu’à ce que, recevant la mort du venin de son propre aiguillon, il laissât le monde moral sans une loi ; il n’enchaînait plus l’aile sans crainte de la Passion ; il ne brûlait plus la Raison avec le brandon de Dieu ! Alors , l’heureux ferment travailla avec énergie ; la Raison fut libre, et quoique la capricieuse Passion vînt à travers les vallons emmêlés et les prairies ceintes de bois cueillir une guirlande des plus étranges fleurs,