Page:Shelley - Œuvres poétiques complètes, t1, 1885, trad. Rabbe.djvu/90

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vallées solitaires, faisant des lieux sauvages sa demeure, jusqu’à ce que tourterelles et écureuils vinssent partager dans son innocente main son innocente nourriture, attirés par la douce expression de ses regards, et que la sauvage antilope, qui tressaille au moindre bruissement de la feuille sèche sur la fougère, suspendît ses pas timides pour arrêter ses yeux sur une forme plus gracieuse que la sienne.

Son pas errant, obéissant à de hautes pensées, visita les formidables ruines des anciens jours : Athènes et Tyr et Balbec, et le désert où fut Jérusalem, les tours écroulées de Babylone, les éternelles pyramides, Memphis et Thèbes, toutes les étranges sculptures des obélisques d’albâtre, des tombeaux de jaspe ou des sphinx mutilés, que la noire Éthiopie cache sur ses sommets déserts. Là, parmi les temples ruinés, les colonnes stupéfiantes, les images barbares d’êtres plus qu’humains, où des démons de marbre gardent le mystère de bronze du zodiaque, et où les hommes morts ont suspendu tout autour leurs muettes pensées sur les murs muets, il aimait à s’arrêter, les yeux fixés sur ces monuments de la jeunesse du monde ; tout le long du jour brûlant, il contemplait ces formes muettes ; et quand la lune remplissait les salles mystérieuses d’ombres flottantes, il ne suspendait point son étude ; mais il regardait et regardait toujours, jus- qu’à ce qu’une signification illuminât son esprit vide comme une inspiration irrésistible, et qu’il tressaillît en apercevant les secrets de la naissance du temps.

Cependant une vierge arabe lui apportait sa nourriture, sa portion quotidienne, de la tente de son père ; elle étendait la natte qui lui servait de couche ; elle dérobait à ses devoirs et à son repos pour épier ses pas ;