Page:Shelley - Œuvres poétiques complètes, t1, 1885, trad. Rabbe.djvu/92

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ses belles mains étaient seules nues, tirant de quelque étrange harpe une étrange symphonie, et dans les rameaux de leurs veines le sang éloquent disait des choses ineffables. On entendait le battement de son cœur remplir les pauses de sa musique, et sa respiration s’accordait tumultueusement avec les reprises du chant interrompu. Soudain elle se leva, comme si son cœur endurait impatiemment son poids prêt à éclater. Au bruit, le poète se retourna et, dans la chaude lumière de leur propre vie, il vit ses membres étinceler sous le voile sinueux du vent entrelacé ; ses bras, nus maintenant, étendus, ses boucles noires flottant au souffle de la nuit, les globes de ses yeux rayonnants, ses lèvres entr’ouvertes, détendues, pâles, et tremblant avec passion. Son robuste cœur défaillit et pâma sous l’excès de l’amour. Il soulevait ses membres frémissants, et retenait sa respiration haletante, et étendait ses bras pour atteindre son sein palpitant… Elle se retira en arrière un instant, puis, s’abandonnant à une irrésistible joie, d’un geste frénétique et avec un rapide cri étouffé, elle se jeta dans ses bras défaillants… Alors des ténèbres voilèrent ses yeux étourdis, et la vision rentra dans la nuit qui l’engloutit ; le Sommeil, comme un noir courant suspendu dans sa course, roula de nouveau ses vagues sur sa cervelle vide.

Réveillé par la secousse, il tressaillit de son extase. La froide lumière blanche du matin, la lune bleue déclinant à l’ouest, les sommets clairs et étincelants, la vallée distincte et le vide des bois, telle était la scène qui se déroulait autour de lui. — Où ont fui les nuances du ciel qui faisait un dais à son berceau de la nuit d’avant-hier ? les sons qui caressaient son sommeil, le mystère et la