Page:Shelley - Œuvres poétiques complètes, t2, 1887, trad. Rabbe.djvu/141

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123 Les poètes, comme les philosophes, les peintres, les sculp- teurs et les musiciens, sont dans un sens les créaleurs, et dans un autre sens les créations de leur temps ; les plus grands n’échappent point à cette sujétion. II y a une cer- taine simililude entre Homère et Hésiode, entre Eschyle et Euripide, entre Viriiile et Horace, entre Dante et Pétrarque, entre Shakespeare et Elelcher. entre Dryden et Pope : il y a dans chacun deux une ressemblance générique, sous laquelle se combinent leurs différences spécifiques. Si cette similitude est le résultat de rimilalion, je confesse volon- tiers que j’ai imité. Je saisis cette occasion de reconnaître que j’ai ce qu’un philosophe écossais appelle en termes caractéristiques « une passion pour réformer le monde » ; quelle passion le poussait à écrire et à publier son livre, il néglige de le dire. Quant à moi. j’aimerais mieux être damné avec Platon et lord Bacon, qu’aller au ciel avec Paley et Malllius. On se tromperait cependant, si l’on supposait que j’ai consacré mes compositions poétiques au seul but d’avan- cer directement cette réforme, et que je les considère en quelque façon comme renfermant un système raisonné de la théorie de la vie humaine. J’ai en horreur la poésie didactique ; tout ce qui peut être également bien exprimé en prose ne saurait être en vers qu’une ennuyeuse redon- dance. Mon buta été tout simplement de familiariser l’ima- gination élevée et aflinée de l’élite des lecteurs avec les beautés idéales de la perfection morale ; je n’ignore pas que, jusqu’à ce que l’esprit sache aimer, admirer, croire, espérer, endurer, les principes raisonnes de conduite mo- rale sont des semences jetées sur la grande route de la vie, que le voyageur inconscient foule aux pieds dans la pous- sière, tandis qu’elles devraient porter la moisson de son bonheur. Puissé-je vivre pour accomplir ma tâche, c’esl-à-dire pour exposer une histoire scientifique de ce qui m’apparaît comme les éléments naturels de la société humaine, et ne pas laisser les avocats de l’injustice et de la superstition se flatter de me voir prendre Eschyle plutôt que Platon pour mon modèle !