Page:Sienkiewicz - Quo vadis, 1983.djvu/110

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Vinicius s’arrêta un instant et regarda Pétrone comme s’il ne l’avait pas encore aperçu, puis se remit à déambuler. Évidemment il faisait des efforts pour ne pas éclater. Enfin, conscient de son impuissance, plein de regrets, de colère et d’une invincible tristesse, il sentit monter à ses yeux deux larmes qui impressionnèrent Pétrone plus que les paroles les plus éloquentes.

Après avoir réfléchi un instant, celui-ci dit :

— Ce n’est pas Atlas qui supporte le monde, mais une femme, et parfois elle s’en amuse comme d’une balle.

— Oui ! — fit Vinicius.

Ils prenaient congé l’un de l’autre, quand un esclave annonça que Chilon Chilonidès attendait dans le vestibule l’honneur d’être introduit devant le maître.

Vinicius donna l’ordre de le faire entrer sur-le-champ, tandis que Pétrone observa :

— Ne te le disais-je pas ? Par Hercule ! garde ton sang-froid, sinon, c’est cet homme qui commandera, et non pas toi.

— Salut et honneur au noble tribun militaire, et aussi à toi, seigneur, — dit Chilon en entrant. — Que votre bonheur égale votre gloire et que cette gloire se répande dans l’univers entier, depuis les colonnes d’Hercule jusqu’aux frontières des Arsacides.

— Salut, législateur de la vertu et de la sagesse, — répondit Pétrone.

Vinicius demanda avec un calme simulé :

— Qu’apportes-tu ?

— La première fois, seigneur, je t’ai apporté l’espoir ; aujourd’hui, je t’apporte la certitude que la jeune fille sera retrouvée.

— Ce qui signifie que tu ne l’as pas retrouvée encore ?

— Parfaitement, seigneur ; mais j’ai découvert le sens du signe qu’elle a tracé devant toi ; je sais qui sont les hommes qui l’ont enlevée et quel dieu adorent ceux qui la cachent.

Vinicius allait bondir du siège sur lequel il était assis, quand Pétrone lui posa la main sur l’épaule et dit :

— Continue.

— Es-tu absolument certain, seigneur, que la jeune fille a dessiné un poisson sur le sable ?

— Mais oui ! — exclama Vinicius.

— Alors, elle est chrétienne, et ce sont les chrétiens qui l’ont ravie.

Il y eut un moment de silence.

— Écoute, Chilon, — dit enfin Pétrone. — Mon parent t’a promis une forte somme d’argent si tu retrouves la jeune fille, mais une non moins forte quantité de coups de verges si tu cherchais