Page:Sienkiewicz - Quo vadis, 1983.djvu/113

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en province. Vous ont-ils fourni le moindre indice ? Non ! Moi seul vous en ai donné. Je dirai plus : parmi vos esclaves, il peut, sans que vous le sachiez, exister des chrétiens, car cette superstition s’est déjà répandue un peu partout. Loin de vous aider, ceux-là vous trahiront. Je regrette même qu’ils m’aient vu ici ; c’est pourquoi, noble Pétrone, recommande le silence à Eunice, et toi aussi, noble Vinicius, fais accroire que je te vends un onguent qui assure la victoire dans le cirque aux chevaux qui en ont été frottés. Je chercherai seul et je retrouverai seul les fugitifs ; quant à vous, ayez confiance en moi, et sachez que tout acompte m’encouragera d’autant plus que j’aurai l’espoir d’obtenir davantage et une plus grande certitude que la récompense promise ne m’échappera pas. Oui, certes ! en tant que philosophe, je méprise l’argent, bien que Sénèque ne le dédaigne pas, non plus que Musonius ou Cornutus, eux qui, pourtant, n’ont pas perdu leurs doigts en défendant quelqu’un, peuvent écrire eux-mêmes et faire passer leurs noms à la postérité. Mais, indépendamment de l’esclave que je voudrais acheter et des deux génisses promises à Mercure (et vous savez combien le prix du bétail a augmenté), les recherches seules entraînent d’énormes frais. Écoutez-moi avec un peu de patience. Ces jours-ci, j’ai tant marché que j’y ai gagné des plaies aux jambes. Je suis entré dans des débits de vins, pour faire jaser les clients, puis chez des boulangers, chez des bouchers, chez des marchands d’olives et de poissons. J’ai parcouru toutes les rues et les ruelles ; j’ai fouillé les retraites des esclaves fugitifs ; j’ai perdu près de cent as à la mora ; j’ai été dans des lavoirs, des séchoirs et des tavernes ; j’ai vu des muletiers et des tailleurs de pierre ; j’ai vu aussi les gens qui soignent les maladies de la vessie et qui arrachent les dents ; j’ai questionné des marchands de figues sèches, je suis allé dans les cimetières ; et savez-vous pourquoi ? Pour tracer partout ce poisson, regarder les gens dans le blanc des yeux et voir ce qu’ils répondraient à ce signe. Je fus longtemps sans rien remarquer, quand enfin, près d’une fontaine, un jour, je rencontrai un vieil esclave qui puisait de l’eau et qui pleurait. Je m’approchai et m’enquis de la cause de ses larmes. Quand nous nous fûmes assis sur les marches de la fontaine, il me répondit qu’au cours de toute sa vie il avait amassé, sesterce par sesterce, de quoi racheter un fils bien-aimé, mais que le maître, un certain Pansa, lui avait non seulement pris l’argent, mais gardé le fils comme otage. « Et je pleure ainsi, ajouta le vieillard, parce que je me dis en vain : Que la volonté de Dieu soit faite ! il m’est impossible, à moi, pauvre pêcheur, de refouler mes larmes. » Alors, saisi d’un pressentiment, je trempai mon doigt dans le seau et dessinai le poisson ; et le vieillard dit à cette vue : « Mon espoir est aussi dans le