Page:Sienkiewicz - Quo vadis, 1983.djvu/115

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auprès de ses coreligionnaires, quel crédit j’aurais sur eux, et quelle confiance j’éveillerais.

— C’est vrai, — dit Pétrone, — et tu aurais dû le faire.

— Je viens tout justement ici pour m’en procurer les moyens.

Pétrone se retourna vers Vinicius :

— Fais-lui compter cinq mille sesterces, mais en intention et dans ton for intérieur.

Vinicius dit :

— Je te donnerai un serviteur qui aura sur lui la somme nécessaire ; toi, tu diras à Euricius que c’est ton esclave et tu remettras l’argent au vieillard en présence de ce serviteur. Toutefois, comme tu m’as apporté une nouvelle importante, une somme égale te sera remise. Viens chercher ce soir le serviteur et l’argent.

— Voilà un véritable César, — dit Chilon. — Tu permettras, seigneur, que je dédie mon œuvre, et aussi que je vienne ce soir chercher l’argent qui m’est destiné. Euricius m’a dit que tous les radeaux étaient déchargés et que dans quelques jours seulement il en arriverait d’autres d’Ostie. La paix soit avec vous. Ainsi se saluent les chrétiens en se séparant… J’achèterai une esclave, je voulais dire un esclave. On prend les poissons avec une ligne et les chrétiens avec un poisson. Pax vobiscum ! pax !… pax !… pax !…


Chapitre XV.

PÉTRONE À VINICIUS :

« Je t’envoie cette lettre d’Antium, par un esclave fidèle. J’espère que tu répondras au plus tôt, par ce même envoyé, bien que ta main soit plus rompue au maniement de l’épée et de la lance qu’à celui du roseau. Je t’ai quitté sur une bonne piste, en plein espoir, et sans doute que tu as déjà apaisé ta passion entre les bras de Lygie, ou du moins que tu l’apaiseras avant que descende sur la Campanie, des cimes du Socrate, le souffle de l’hiver. Ô mon Vinicius ! Que la déesse de Cypre, aux cheveux dorés, soit ton guide ; et toi, sois celui de cette Lygienne, petite étoile du matin qui se fond au soleil de l’amour ! Souviens-toi cependant que le marbre, même le plus précieux, n’est rien en soi et n’acquiert de valeur qu’une fois transformé en œuvre d’art par la main du statuaire. Sois ce statuaire, carissime ! Il ne suffit pas d’aimer, il faut savoir aimer et enseigner l’amour. La plèbe, les animaux eux-mêmes, éprouvent le plaisir, mais l’homme véritable diffère d’eux précisément en ce qu’il transforme ce