Page:Sienkiewicz - Quo vadis, 1983.djvu/130

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portes ? Tous nos frères et toutes nos sœurs ? La nuit ? hors de la ville ? à l’Ostrianum ?

— Oui, mon père ! c’est notre cimetière, entre la Via Salaria et la Via Nomentana. Ne sais-tu donc pas que le grand Apôtre doit y prêcher ?

— Je suis resté deux jours sans rentrer chez moi, c’est pourquoi je n’ai pas reçu sa lettre ; et j’ignore où se trouve l’Ostrianum, car je suis arrivé depuis peu de Corinthe, où je dirige la communauté chrétienne… Mais c’est bien, et puisque le Christ t’a envoyé cette inspiration, va à l’Ostrianum, mon fils ; tu y trouveras Glaucos au milieu de nos frères, et tu le tueras en revenant à la ville ; en récompense, tous tes péchés te seront pardonnés. Et maintenant, que la paix soit avec toi !…

— Mon père…

— Je t’écoute, serviteur de l’Agneau.

Une grande perplexité se peignit sur les traits de l’ouvrier. Voici peu de temps il avait tué un homme, peut-être même deux, et la doctrine chrétienne interdit de tuer. Il ne les avait pas tués, il est vrai, pour sa défense personnelle, mais cela non plus n’est pas permis ! Il n’avait pas tué par intérêt : le Christ l’en préserve !… L’évêque lui avait même donné des frères pour le seconder, mais non l’autorisation de tuer ; pourtant, il avait tué sans le vouloir, parce que Dieu l’a puni en lui donnant une force trop grande… et maintenant il expie cruellement… Les autres chantent auprès des meules, alors que lui, malheureux, ne songe qu’à son péché et à l’offense faite à l’Agneau… Que de prières, que de larmes versées ! Combien de fois n’a-t-il pas sollicité le pardon de l’Agneau ! et il sent qu’il n’a pas encore assez expié… Et il vient de promettre de nouveau de tuer un traître… Soit ! on ne doit pardonner que ses propres offenses : il le tuera donc, même sous les yeux de tous les frères et de toutes les sœurs, demain, à l’Ostrianum. Mais que d’abord Glaucos soit condamné par ceux d’entre les frères qui sont les supérieurs, par l’évêque ou par l’apôtre. Ce n’est rien de tuer, et l’on a même plaisir à tuer un traître, comme un loup ou un ours ; mais si, par hasard, Glaucos n’était pas coupable !… Comment assumer un nouveau meurtre, un nouveau péché, une nouvelle offense à l’Agneau ?

— Le temps manque pour un jugement, mon fils, — objecta Chilon, — car, de l’Ostrianum, le traître se hâtera d’aller directement rejoindre César à Antium, ou bien il se réfugiera dans la maison d’un patricien dont il est le serviteur ; mais, grâce au signe que je vais te donner et que tu montreras quand tu auras tué Glaucos, tu recevras pour ta bonne action la bénédiction de l’évêque et du grand Apôtre.