Page:Sienkiewicz - Quo vadis, 1983.djvu/136

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

géant et, cette nuit même, on eût cherché une autre cachette pour la jeune fille. Moi, seigneur, je n’ai rien fait de semblable ; il me suffit de savoir qu’Ursus travaille près de l’Emporium, chez un meunier du même nom que ton affranchi, Demas ; et cette découverte m’a suffi, parce que n’importe lequel de tes esclaves de confiance peut le suivre le matin et trouver la cachette. Je t’apporte seulement, seigneur, la certitude qu’Ursus étant ici, la divine Lygie est également à Rome, et aussi la nouvelle que tout fait présumer qu’elle sera cette nuit à l’Ostrianum…

— À l’Ostrianum ! Où est-ce ? — interrompit Vinicius, tout prêt à y courir à l’instant même.

— C’est un ancien hypogée entre la Via Salaria et la Via Nomentana. Le grand pontife chrétien dont je t’ai parlé, seigneur, et que l’on n’attendait que beaucoup plus tard, est arrivé : cette nuit, il doit baptiser et prêcher dans ce cimetière. Ils cachent leur doctrine et, bien que jusqu’à présent aucun édit ne l’ait condamnée, il leur faut être prudents, car le peuple les hait. Ursus m’a dit que tous, autant qu’ils sont, doivent se réunir ce soir à l’Ostrianum, où chacun doit entendre et contempler celui qui fut le premier des disciples du Christ et qu’ils appellent l’Apôtre. Et les femmes devant, comme les hommes, assister aux cérémonies, Pomponia sera peut-être seule d’entre elles à y manquer : elle ne pourrait justifier à Aulus, adorateur des anciens dieux, son absence pendant la nuit ; tandis que Lygie, actuellement sous la protection d’Ursus et des anciens de la communauté, s’y rendra certainement avec les autres.

Vinicius, qui jusqu’alors avait vécu dans la fièvre, et à la veille de voir son espérance se réaliser, se sentit faiblir, ainsi qu’un homme au terme d’un voyage pénible. Chilon s’en aperçut et résolut d’en tirer profit :

— Il est vrai, seigneur, que tes gens surveillent les portes et que les chrétiens doivent le savoir. Mais ils n’ont pas besoin des portes. Le Tibre n’en a pas besoin non plus, et, bien que le trajet jusqu’à l’Ostrianum soit plus long par le fleuve, on prendra la peine de faire un long détour pour voir le « Grand Apôtre ». D’ailleurs, et cela ne fait pas de doute, ils ont mille moyens de franchir l’enceinte. À l’Ostrianum, seigneur, tu verras Lygie, et si, par extraordinaire, elle ne s’y trouvait pas, Ursus y sera, car il m’a promis de tuer Glaucos. Il m’a dit lui-même qu’il y viendrait pour l’y tuer ; entends-tu, noble tribun ! Et alors, ou tu le suivras et tu sauras où demeure Lygie, ou tes hommes l’appréhenderont comme meurtrier, et, quand il sera entre tes mains, tu lui feras avouer où il l’a cachée. Ma mission est donc remplie. Un autre, ô seigneur, prétendrait qu’il a bu avec Ursus dix canthares de vin de premier cru pour lui soutirer son secret ; un autre prétendrait qu’