Page:Sienkiewicz - Quo vadis, 1983.djvu/138

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temple d’Ammon. Pour moi, ces scrupules, — et il fit sonner la bourse, — font contrepoids à tous les miens, sans parler de ta société qui est pour moi un honneur et une joie.

Vinicius, impatienté, l’interrompit pour le questionner sur les détails de sa conversation avec Ursus. Il put en déduire que, dès cette nuit, on découvrirait le refuge de la jeune fille, ou qu’on l’enlèverait elle-même en chemin, à son retour de l’Ostrianum. À cette seule pensée, Vinicius fut pris d’une joie folle. Presque certain à présent de reconquérir Lygie, sa colère et son dépit contre elle s’étaient évanouis. Pour cette joie, il était prêt à lui pardonner tous ses torts. Il ne voyait plus en elle que l’être cher et désiré ; il lui semblait l’attendre comme si elle allait revenir d’un grand voyage. Il avait envie d’appeler ses esclaves et de leur donner l’ordre d’enguirlander la maison de verdure. En ce moment, il n’en voulait même plus à Ursus et il était prêt à pardonner tout à tous. Chilon, qui, en dépit de ses services, lui avait toujours inspiré de la répugnance, lui sembla pour la première fois un personnage amusant et peu banal. Enfin, la maison lui parut plus gaie ; ses yeux et son visage se rassérénèrent. De nouveau il sentit rayonner en lui la jeunesse et la joie de vivre. Ses souffrances de naguère ne lui avaient pas permis de sentir assez combien il aimait Lygie. Il le comprenait seulement à présent que renaissait en lui l’espoir de la ravoir. Sa passion pour elle s’éveillait comme s’éveille au printemps la terre réchauffée par le soleil, mais elle était à présent moins aveugle, moins sauvage, plus joyeuse et plus tendre. Il se sentait plein d’énergie et était certain que, du moment où de ses propres yeux il reverrait Lygie, tous les chrétiens de l’univers entier, et César lui-même, ne pourraient plus la lui enlever.

Encouragé par cette bonne humeur, Chilon lui-même reprit la parole et se mit à donner des conseils : à son avis, la partie n’était pas encore gagnée. Il fallait agir avec prudence sous peine de tout compromettre. Il suppliait Vinicius de ne pas enlever Lygie à l’Ostrianum même. Ils s’y rendraient en manteau, le capuchon rabattu sur la tête et se borneraient à observer, de quelque coin obscur, tous les assistants. Lorsque enfin ils découvriraient Lygie, le mieux serait de la suivre à distance, de remarquer la maison où elle entrerait et, le lendemain à l’aube, de cerner sa demeure et de la prendre de jour. En sa qualité d’otage et comme, à vrai dire, elle appartenait à César, tout cela pourrait être fait sans crainte de violer les lois. Et, au cas où ils ne la trouveraient pas à l’Ostrianum, ils suivraient Ursus et le résultat serait le même. On ne pouvait se rendre au cimetière en trop grand nombre, sous peine d’attirer l’attention des chrétiens, qui éteindraient toutes les lumières, comme ils l’avaient fait lors du premier