Page:Sienkiewicz - Quo vadis, 1983.djvu/145

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d’adeptes ; mais les chrétiens sont une secte des Juifs. Pourquoi, cependant, se réunissent-ils ici, puisqu’il existe dans le Transtévère des temples où les Juifs peuvent faire leurs sacrifices au grand jour ?

— Non, seigneur, les Juifs sont précisément leurs ennemis les plus acharnés. On m’a dit que déjà avant le règne de notre César, la guerre avait failli éclater entre eux. César Claude fut tellement importuné de ces querelles qu’il fit chasser tous les Juifs ; mais, aujourd’hui, cet édit a été rapporté. Cependant, les chrétiens se cachent des Juifs et du peuple qui, tu ne l’ignores pas, les haïssent parce qu’ils les soupçonnent de divers crimes.

Après un silence, Chilon, dont la terreur s’augmentait à mesure qu’on s’éloignait des portes, reprit :

— En revenant de chez Euricius, je me suis muni d’une perruque chez un barbier et je me suis introduit deux fèves dans le nez. Ainsi, on ne pourra me reconnaître ; et, si même on me reconnaît, on ne me tuera pas. Ce ne sont pas de méchantes gens ! Ce sont même de très honnêtes gens, que j’aime et que j’estime.

— N’essaye pas de les amadouer par des flatteries prématurées, — répliqua Vinicius.

Ils s’étaient engagés dans un étroit ravin fermé de chaque côté par une tranchée, au-dessus desquelles passait un aqueduc. La lune venait de se dégager des nuages ; ils aperçurent à l’extrémité du défilé, en pleine clarté argentée, un mur abondamment recouvert de lierre. C’était l’Ostrianum.

Le cœur de Vinicius tressaillit.

À la porte, deux fossoyeurs recueillaient les insignes. Un instant après, Vinicius et ses compagnons se trouvèrent dans un lieu assez vaste et entouré de murs. Çà et là se dressaient des monuments funéraires ; la crypte même occupait le milieu et sa partie inférieure s’enfonçait sous le sol. À l’entrée de cette crypte coulait une fontaine. Il était facile de se rendre compte que l’hypogée souterrain ne pouvait contenir une foule nombreuse. Vinicius comprit que les chrétiens seraient obligés de se réunir à ciel ouvert, dans l’enceinte où déjà se pressaient de nombreux fidèles. Partout où l’œil pouvait voir, on apercevait des lanternes et encore des lanternes, bien que beaucoup parmi les arrivants n’en fussent pas pourvus. À part quelques chrétiens, qui avaient la tête découverte, tous les autres, par crainte soit de la trahison, soit du froid, étaient restés encapuchonnés. Le jeune patricien songea avec effroi que, s’ils persistaient à rester couverts, il ne lui serait pas possible, dans cette foule et à cette faible lueur, de reconnaître Lygie.

Soudain, près de la crypte, on alluma quelques torches de résine