Page:Sienkiewicz - Quo vadis, 1983.djvu/155

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— Oui, — répondit le laniste ; — et je consens à devenir ton esclave si je ne casse les reins à ce buffle qui la garde.

Chilon jura par tous les dieux qu’il ne fallait point agir ainsi. Croton ne les avait accompagnés que pour les défendre, au cas où on les eût reconnus, mais non pour enlever la jeune fille. S’ils tentaient, à eux deux, de s’emparer d’elle, ils risquaient la mort et, qui plus est, elle pouvait leur échapper : elle se cacherait ailleurs, ou même quitterait Rome. Que feraient-ils alors ? Pourquoi ne pas agir à coup sûr ? Pourquoi s’exposer et compromettre le sort de l’entreprise ?

Bien qu’il dût faire les plus grands efforts pour ne pas saisir Lygie dans ses bras, en plein cimetière, Vinicius comprit que le Grec avait raison, et peut-être eût-il prêté l’oreille à ses observations si Croton n’eût été aussi impatient de tenir la récompense promise.

— Seigneur, ordonne à ce vieux bouc de se taire, — dit-il, — ou permets-moi de laisser tomber mon poing sur son crâne. À Buxentum, un jour que Lucius Saturnius m’y avait mandé pour les jeux, sept gladiateurs ivres m’ont attaqué dans une taverne, et pas un ne s’en est tiré les côtes intactes. Je ne prétends pas qu’il faille saisir la jeune fille sur-le-champ, au beau milieu de la foule, ce qui nous ferait jeter des pierres dans les jambes ; mais, dès qu’elle sera chez elle, je l’enlèverai et la porterai où tu voudras.

Stimulé par ces paroles, Vinicius approuva :

— Cela se fera ainsi, par Hercule ! Demain, nous pourrions ne pas la trouver chez elle, et si nous donnions l’alarme parmi les chrétiens, ils se hâteraient de la cacher ailleurs.

— Ce Lygien me paraît terriblement robuste, — gémit Chilon.

— Ce n’est pas toi qu’on charge de lui tenir les mains, — répliqua Croton.

Il leur fallut cependant attendre encore longtemps ; les coqs avaient déjà chanté pour annoncer le petit jour, quand Ursus et Lygie sortirent, en compagnie de quelques personnes. Parmi elles, Chilon crut reconnaître le grand Apôtre, escorté d’un autre vieillard, bien plus petit de taille, de deux femmes âgées et d’un jeune garçon, une lanterne à la main. Derrière ce petit groupe marchait une foule d’environ deux cents chrétiens, auxquels se mêlèrent Vinicius, Croton et Chilon.

— Oui, seigneur, — dit Chilon, — ta jeune fille est puissamment protégée. C’est lui, le grand Apôtre, qui est avec elle ! Tiens, vois ces gens qui s’agenouillent devant lui.

En effet, ceux qui les croisaient se mettaient à genoux. Mais Vinicius ne s’en préoccupait point. Sans quitter Lygie des yeux, il ne songeait qu’à son enlèvement. Habitué, à la guerre, à user de