Page:Sienkiewicz - Quo vadis, 1983.djvu/16

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C’est à Pline qu’il faudrait le demander. Il se connaît en poissons. Le vieil Alpicius, s’il vivait encore, pourrait peut-être, lui aussi, te renseigner sur ce point, car il a mangé dans le cours de sa vie plus de poissons que n’en saurait contenir tout le golfe de Naples.

La conversation s’arrêta là, car dans les rues encombrées de monde à travers lesquelles on les portait, le brouhaha de la foule les empêchait de s’entendre. Par le Vicus Apollinis, ils débouchèrent sur le Forum Romanum où, par les belles journées, avant que se couchât le soleil, se rassemblaient une multitude d’oisifs venus là pour déambuler au milieu des colonnes, colporter et apprendre des nouvelles, voir passer les litières des personnages connus, contempler les boutiques des orfèvres, les librairies, les comptoirs des changeurs, les magasins de bronzes, d’étoffes de soie et de marchandises diverses, occupant les maisons en bordure d’une partie de la place du marché situé en face du Capitole. La moitié du Forum sise en dessous des rochers de la Citadelle se trouvait déjà plongée dans l’ombre, alors que les colonnades des temples situées plus haut resplendissaient, dorées et lumineuses, et se découpaient sur l’azur ; celles, au contraire, qui étaient placées plus bas, profilaient leur ombre sur les dalles de marbre, et partout elles se pressaient si nombreuses que la vue s’y égarait comme dans une forêt. On eût dit que ces édifices et ces colonnes se comprimaient les uns les autres. Ils s’étageaient, s’étendaient à droite et à gauche, escaladaient les collines, se tassaient contre les murs de la Citadelle, ou bien les uns contre les autres ; les colonnes semblaient des troncs d’arbres, grands ou petits, gros ou grêles, blancs ou dorés, tantôt épanouis sous l’architrave en feuilles d’acanthe, tantôt spirales de volutes ioniques, tantôt terminés par le simple carré dorien. Surmontant cette forêt, étincelaient des triglyphes colorés ; des tympans se détachaient les statues des dieux ; au fronton, des quadriges ailés et dorés semblaient vouloir s’envoler dans les airs, au sein de cet azur silencieux épandu sur l’amas compact des temples. Au milieu du marché et sur les côtés roulait un fleuve humain ; des foules se promenaient sous les arceaux de la basilique de Jules César ; des foules étaient assises sur les marches du temple de Castor et Pollux, ou circonvoluaient autour du petit sanctuaire de Vesta, pareilles, sur cet immense fond de marbre, à des essaims multicolores de papillons et de scarabées. D’en haut, par les degrés énormes du temple consacré à Jovi optimo maximo, dévalaient de nouvelles vagues humaines ; près des Rostres, on écoutait quelques orateurs de hasard ; çà et là retentissaient les cris des marchands de fruits, de vin, d’eau mêlée à du jus de figue, ceux des charlatans vantant leurs drogues