Page:Sienkiewicz - Quo vadis, 1983.djvu/178

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Il le lut aussi sur sa physionomie ; immédiatement, sans montrer le moindre doute ou la moindre surprise, il leva les yeux et s’écria :

— Ah ! seigneur ! c’était une fameuse canaille ! Pourtant, je t’avais bien conseillé de ne pas te fier à lui. Mes exhortations répétées sont restées vaines. Dans tout le Hadès, on ne trouvera pas de supplice digne de lui, car celui qui ne peut être un honnête homme est forcément une canaille. Et à qui donc est-il plus difficile de devenir honnête qu’à une canaille ? Attaquer son bienfaiteur, un seigneur aussi magnanime… Ô dieux !…

Il se souvint à ce moment que, durant la route, il s’était donné à Ursus pour chrétien, et il s’arrêta court.

Vinicius reprit :

— Sans la sica que je portais sur moi, il m’aurait tué.

— Je bénis l’instant où je t’ai conseillé de t’armer au moins d’un couteau.

Mais Vinicius, un regard inquisiteur fixé sur lui, lui demanda :

— Qu’as-tu fait aujourd’hui ?

— Comment ! Ne te l’ai-je pas dit, seigneur ? J’ai fait des vœux pour ta santé.

— Rien de plus ?

— Je me préparais justement à te rendre visite quand ce brave homme est venu m’avertir que tu me demandais.

— Voici une tablette ; tu iras chez moi et tu la remettras à mon affranchi. Je lui écris que je pars pour Bénévent. Tu diras de plus à Demas que je suis parti ce matin même, appelé par une lettre pressante de Pétrone.

Il répéta avec insistance :

— Je suis parti pour Bénévent. Tu comprends ?

— Tu es parti, seigneur, je t’ai même fait mes adieux ce matin à la Porte Capène ; et, depuis ton départ, une telle tristesse s’est emparée de moi que, si tu ne l’apaises, j’en mourrai, à force de soupirer comme le faisait l’épouse infortunée de Zethos après la mort d’Ityl.

Bien que malade et accoutumé à la souplesse d’esprit du Grec, Vinicius ne put réprimer un sourire. Satisfait d’ailleurs que Chilon l’eût compris à demi-mot, il dit :

— Eh bien ! je vais ajouter quelques lignes grâce auxquelles on essuiera tes larmes. Donne-moi la lampe.

Chilon, absolument rassuré, s’approcha de l’âtre et prit une des lampes allumées.

Mais, dans ce mouvement, le capuchon qui lui couvrait la tête glissa et la lumière tomba en plein sur son visage. Glaucos bondit de son banc et se dressa devant lui.

— Ne me reconnais-tu pas, Céphase ? — s’écria-t-il.