Page:Sienkiewicz - Quo vadis, 1983.djvu/18

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et de prêtres de Cybèle, porteurs des fruits dorés du maïs, et de prêtres de divinités vagabondes, et de danseuses orientales avec leurs mitres aux couleurs chatoyantes, et de marchands d’amulettes, et de charmeurs de serpents, et de mages de Chaldée, enfin de gens sans métier aucun qui, chaque semaine, s’en venaient mendier du blé dans les greniers des bords du Tibre, se battaient dans les cirques pour s’arracher des billets de loterie, passaient leurs nuits dans les maisons délabrées des quartiers transtévérins et les journées de soleil et de chaleur sous les cryptoportiques, dans les ignobles bouges de Suburre, sur le pont Milvius, ou à la porte des insulae des puissants, d’où on leur jetait de temps en temps les restes de la table des esclaves.

Ces foules connaissaient bien Pétrone. Vinicius entendait sans cesse résonner à ses oreilles : Hic est ! — C’est lui ! — On l’aimait pour sa générosité, et il était devenu surtout populaire le jour où l’on avait appris qu’il était intervenu, devant César, contre l’arrêt condamnant à mort, sans distinction d’âge ni de sexe, toute la familia du préfet Pedanius Secundus, tyran assassiné par l’un de ses esclaves dans un moment de désespoir. Pétrone, à vrai dire, allait répétant partout que cela lui importait peu et que si, dans l’intimité, il en avait parlé à César, c’était en tant qu’arbitre des élégances, parce que ses sentiments esthétiques étaient froissés de cette tuerie barbare, digne, non pas de Romains, mais à peine de Scythes. Néanmoins, le peuple, que ce massacre avait révolté, affectionnait Pétrone depuis lors.

Lui s’en souciait fort peu. Il n’oubliait pas que ce peuple avait aussi aimé Britannicus que Néron avait empoisonné, Agrippine qu’il avait fait assassiner, Octavie qu’on avait étouffée sur la Pandataria, non sans lui avoir tout d’abord ouvert les veines dans un bain de vapeur, et Rubellius Plautius qu’on avait exilé, et Thraséas, à qui, chaque jour, on pouvait signifier son arrêt de mort. Bien plutôt, l’amour du peuple pouvait être tenu comme mauvais présage, et son scepticisme n’empêchait pas Pétrone d’être superstitieux. Il avait deux raisons de mépriser la foule : d’abord comme aristocrate, ensuite comme esthète. Ces gens sentant les fèves grillées qu’ils portaient à même leur poitrine, sans cesse enroués et suants tant ils jouaient à la mora au coin des rues et sous les péristyles, ne méritaient pas, à ses yeux, le nom d’hommes.

C’est pourquoi, dédaignant de répondre aux applaudissements comme aux baisers qu’on lui envoyait de-ci, de-là, il narrait à Marcus l’affaire de Pedanius et raillait l’inconstance de cette populace, hier soulevée, et applaudissant le lendemain Néron lorsqu’il se rendait au temple de Jupiter Stator.