Page:Sienkiewicz - Quo vadis, 1983.djvu/197

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Vinicius, lui, était devenu aussi patient que s’il avait fait vœu de patience. Quand ses yeux s’allumaient d’irritation, de révolte et de colère, il s’efforçait d’en éteindre au plus vite l’éclat et regardait Lygie avec inquiétude, comme pour lui en demander pardon. Alors, les sentiments de la jeune fille à son égard prenaient une nouvelle force. Elle n’eût jamais supposé qu’on pût l’aimer ainsi, et lorsqu’elle y songeait, elle se sentait en même temps coupable et heureuse.

En réalité, Vinicius s’était comme transformé. Ses entretiens avec Glaucos ne respiraient plus le même orgueil. Il s’avisait que ce pauvre esclave médecin, et la vieille Myriam qui l’entourait de ses soins, et Crispus, toujours en prières, étaient, eux aussi, des êtres humains. Ces idées le surprenaient, mais n’en existaient pas moins. Il finit par aimer Ursus, avec qui il passait à converser des journées entières. Car il pouvait lui parler de Lygie : le géant était intarissable sur ce chapitre, et, tout en soignant le malade, il commençait à lui témoigner une sorte d’affection. Lygie avait toujours été pour Vinicius un être d’une autre essence, incomparablement supérieure à ceux qui l’environnaient. À présent, il commençait à étudier aussi avec plus d’attention les simples et les humbles, — ce qu’il n’avait jamais fait auparavant, — et chez eux aussi il découvrait des qualités dignes d’estime, dont il n’avait eu jusqu’ici aucun soupçon.

Nazaire seul ne trouvait pas grâce devant lui, car il supposait au jeune garçon l’audace d’être amoureux de Lygie. Longtemps, il est vrai, il résista à l’envie de lui témoigner son aversion. Mais comme, un jour, l’adolescent avait apporté à la jeune fille deux cailles, payées d’un argent péniblement gagné, le descendant des Quirites se réveilla en Vinicius, pour qui l’enfant d’un peuple étranger valait moins que le plus misérable mendiant. Entendant Lygie le remercier, il pâlit et, tandis que Nazaire était allé chercher de l’eau pour les oiseaux, il dit :

— Lygie, comment peux-tu souffrir qu’il t’offre des présents ? Ignores-tu donc que les Grecs appellent ceux de sa nation : ces chiens de juifs ?

— Je ne sais comment les appellent les Grecs, mais je sais que Nazaire est chrétien et qu’il est mon frère.

Elle le regarda avec tristesse et surprise, car elle était déshabituée de constater chez lui de tels accès de violence. Lui serra les dents, pour ne pas se récrier qu’il ferait mourir un tel frère sous le bâton, ou l’enverrait, les fers aux pieds, bêcher la terre dans ses vignobles de Sicile… Toutefois, il se contint, étouffa sa colère et dit :

— Pardonne-moi, Lygie ; c’est que, pour moi, tu es fille de roi et l’enfant adoptive des Plautius.