Page:Sienkiewicz - Quo vadis, 1983.djvu/211

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conduire vers lui, lui promettant en échange de faire des largesses aux pauvres de la communauté. Il lui semblait que l’amour de Lygie devait écarter tous les obstacles, car il était prêt lui-même à honorer le Christ. Mais tout en le persuadant de recevoir le baptême, Glaucos n’osait l’assurer que Lygie devrait par là même devenir sienne aussitôt ; il lui disait que l’on devait demander le baptême pour le baptême même et pour l’amour du Christ, et non pour d’autres motifs. « Il faut d’abord avoir l’âme chrétienne », — ajouta-t-il. Et ce Vinicius, que toute entrave irritait, commençait à comprendre que Glaucos parlait comme devait parler un chrétien. Il n’avait pas une compréhension très nette qu’une modification radicale dans sa nature résidât dans ce fait que, précédemment, il ne jugeait les hommes et les choses qu’à travers son égoïsme, tandis qu’à présent il s’accoutumait graduellement à la pensée que d’autres yeux peuvent voir d’autre façon, qu’un autre cœur peut sentir différemment, et que l’équité n’est pas la même chose que l’intérêt personnel.

À présent Vinicius éprouvait fréquemment le désir de voir Paul de Tarse, dont la parole l’intriguait et le troublait. Il cherchait des arguments propres à réfuter sa doctrine, se révoltait intérieurement contre lui, et malgré tout son désir de le voir et de l’entendre augmentait. Mais Paul était parti pour Aricie et les visites de Glaucos s’espaçant de plus en plus, Vinicius se trouva dans une solitude complète. Alors il se mit de nouveau à errer par les ruelles de Suburre et les voies étroites du Transtévère, espérant y apercevoir Lygie, ne fût-ce que de loin ; cet espoir ayant été déçu, il fut pris d’ennui et d’impatience. Puis vint un moment où son naturel primitif triompha une fois encore, avec la violence de la vague dont le ressac vient battre à nouveau le rivage. Il se jugea bien sot de s’être encombré la tête de choses qui ne lui avaient apporté que tristesse, au lieu de prendre de la vie tout ce qu’elle pouvait donner. Il résolut d’oublier Lygie, de rechercher les plaisirs et d’en user sans plus se soucier d’elle. Il sentait néanmoins que ce serait là sa dernière tentative de libération.

Avec son énergie aveugle et sa fougue coutumière, il se lança donc dans le tourbillon de la vie facile. Et la vie elle-même semblait l’y encourager. Morte et dépeuplée durant l’hiver, la ville recommençait à s’animer à l’espérance de la prochaine arrivée de César, à qui l’on préparait une réception solennelle. Le printemps était proche : sur les cimes des monts Albains les neiges avaient fondu au souffle des vents d’Afrique ; les violettes parsemaient le gazon des jardins. Sur les forums et au Champ de Mars grouillait une multitude qui se chauffait à un soleil chaque jour plus ardent. Sur la Voie Appienne, rendez-vous habituel des promeneurs,