Page:Sienkiewicz - Quo vadis, 1983.djvu/221

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en dépit de la reconnaissance que je devais aux dieux pour une protection aussi manifeste.

— Nous avons tous été terrifiés, — déclara Tigellin, — et ta vestale Rubria a perdu connaissance.

— Rubria ! — s’écria Néron, — quelle gorge neigeuse !

— Mais, elle aussi a rougi à ta vue, divin César !

— Oui ! je l’ai remarqué également. C’est étrange ! Une vestale ! Il y a quelque chose de divin dans chaque vestale, et Rubria est fort belle.

Il réfléchit un instant et demanda :

— Dites-moi pourquoi les humains craignent Vesta plus que les autres divinités ? Pour quelle raison ? Moi-même, pontife suprême, j’ai été pris de peur. Il me souvient seulement que j’ai défailli et que j’aurais roulé à terre si quelqu’un ne m’avait soutenu. Qui était-ce ?

— Moi, — répondit Vinicius.

— Ah ! toi, « sévère Arès » ? Pourquoi n’es-tu pas venu à Bénévent ? Tu étais malade, m’a-t-on dit, et, de fait, tu es changé. Oui, j’ai entendu parler que Croton avait voulu t’assassiner. Est-ce vrai ?

— Oui ; et il m’a cassé un bras, mais je me suis défendu.

— Avec ton bras cassé ?

— J’ai été aidé par certain barbare, plus fort que Croton.

Néron le regarda avec surprise.

— Plus fort que Croton ! Tu plaisantes, sans doute ? Croton était le plus fort de tous, et maintenant c’est Syphax, l’Éthiopien.

— Je te dis, César, ce que j’ai vu de mes propres yeux.

— Où donc est cette perle ? N’est-il pas devenu roi du bocage de Nemora ?

— Je l’ignore, César, je l’ai perdu de vue.

— Et tu ne sais même pas de quelle nation il est ?

— J’avais le bras cassé et ne pensais guère à le questionner.

— Cherche-le-moi.

Tigellin intervint :

— Je vais m’en occuper, moi.

Mais Néron continua de s’adresser à Vinicius :

— Merci de m’avoir soutenu. J’aurai pu me briser la tête en tombant. Autrefois tu faisais un bon compagnon, mais depuis la guerre, depuis que tu as servi sous Corbulon, tu es devenu sauvage et je ne te vois plus que rarement.

Après un court silence, il reprit :

— Et comment se porte cette jeune fille… aux hanches étriquées… dont tu étais amoureux et que j’ai retirée pour toi de chez les Aulus ?