Page:Sienkiewicz - Quo vadis, 1983.djvu/232

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de gredins et de bandits !… Et dire que c’est là ce qui gouverne le monde !… Ne devraient-ils pas plutôt promener à travers les petites villes quelque divinité égyptienne ou syriaque, grincer du sistre et gagner leur vie comme diseurs de bonne aventure et comme jongleurs ?…

— Ou exhiber des sujets savants, des chiens calculateurs ou des ânes flûtistes, — ajouta Pétrone. — Tout cela est juste, mais parlons de choses plus graves. Écoute avec attention. J’ai raconté au Palatin que tu étais malade et ne pouvais quitter la maison ; or, ton nom se trouvant sur la liste, c’est la preuve que quelqu’un ne m’a pas cru et a insisté pour t’y faire inscrire. Néron n’y attachait aucune importance, car tu n’es pour lui qu’un soldat avec qui on peut parler tout au plus des courses et qui n’a aucune idée de la poésie et de la musique. Si ton nom fait partie de la liste, c’est à Poppée que tu dois cet honneur ; ce qui signifie que sa passion n’est pas un caprice passager : elle veut te conquérir.

— L’Augusta a de l’audace !

— Elle en a d’autant plus qu’elle peut se perdre sans retour. Puisse Vénus lui inspirer au plus tôt un autre amour ! Mais tant qu’elle te désirera, il te faudra être extrêmement prudent. Barbe d’Airain commence à se lasser d’elle. Aujourd’hui, il lui préfère Rubria ou Pythagore ; mais, son amour-propre aidant, sa vengeance contre vous serait terrible.

— Dans le bosquet, j’ignorais que ce fût elle ; toi, qui as écouté, tu sais quelle fut ma réponse : que j’en aimais une autre et que, celle-là exceptée, je ne voulais personne.

— Et moi, par tous les dieux infernaux, je t’en supplie, ne perds pas le peu de raison que t’ont laissé les chrétiens. Comment peut-on hésiter à choisir entre la possibilité et la certitude de sa perte ? Ne t’ai-je pas dit que, si tu blessais l’amour-propre d’Augusta, il n’y avait aucun salut pour toi ? Par le Hadès ! si tu es las de la vie, ouvre-toi plutôt les veines à l’instant, ou jette-toi sur ton glaive ; car, en offensant Poppée, tu risques une mort moins douce. Jadis, on avait du moins plaisir à causer avec toi. De quoi s’agit-il au fond ? Qu’as-tu à y perdre ? En aimeras-tu moins ta Lygie ? Souviens-toi, au surplus, que Poppée l’a vue au Palatin et qu’elle ne sera pas longue à deviner pour qui tu dédaignes des faveurs si insignes. Alors, elle la retrouvera, fût-elle cachée sous terre. Et non seulement tu causeras ta perte, mais encore celle de Lygie. Comprends-tu ?

Vinicius écoutait, mais comme s’il eût pensé à autre chose. Il dit enfin :

— Il faut que je la voie.

— Qui ? Lygie ?

— Lygie.