Page:Sienkiewicz - Quo vadis, 1983.djvu/239

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ont, néanmoins, changé quelque chose en mon âme, et je n’ose plus recourir à la violence. Je ne sais comment c’est arrivé, mais c’est ainsi. Je m’adresse donc à vous, qui remplacez le père et la mère de Lygie, et je vous dis : Donnez-la-moi pour épouse, et je vous jure que non seulement je ne lui défendrai pas de confesser le Christ, mais que je me mettrai aussi à suivre Sa doctrine.

Il parlait la tête haute, d’une voix assurée ; pourtant il était ému et ses jambes tremblaient sous son manteau. Un silence ayant accueilli ses paroles, il reprit, comme pour prévenir une réponse défavorable :

— Les obstacles sont nombreux, je le sais, mais je l’aime comme la prunelle de mes yeux et, quoique pas encore chrétien, je ne suis ni votre ennemi, ni celui du Christ. Je veux agir à votre égard en toute sincérité, afin d’acquérir votre confiance. Il y va de ma vie et je ne vous cache rien. Peut-être qu’un autre vous dirait : « Baptisez-moi ! » Moi, je vous répète : « Éclairez-moi ! » Je crois que le Christ est ressuscité, parce que ceux qui l’affirment sont des gens qui vivent dans la vérité et qui l’ont vu après sa mort. L’ayant éprouvé par moi-même, je crois que votre doctrine engendre la vertu, la justice et la miséricorde, et non pas les crimes dont on vous accuse. J’en connais peu de chose. Je n’en sais que ce que j’ai appris par vous, par Lygie, et ce que j’ai vu de vos actes. Pourtant, votre doctrine m’a déjà bien changé. Autrefois, je tenais mes serviteurs d’une main de fer : maintenant, cela m’est impossible. J’ignorais la pitié : à présent, je la connais. J’aimais les plaisirs : or, je me suis enfui de l’étang d’Agrippa, parce que le dégoût m’y suffoquait. Jadis, j’avais foi dans la violence : j’y ai renoncé. Sachez que j’ai pris en horreur les orgies, le vin, le chant, les cithares, les couronnes de roses, et que la cour de César, les chairs nues et toutes les folies m’écœurent. Plus je pense que Lygie est pure comme la neige des montagnes et plus je l’aime ; et songeant que c’est grâce à votre doctrine qu’elle est ainsi, j’aime cette doctrine et je veux la connaître ! Mais je ne la comprends pas, et, ne sachant si je pourrai m’y conformer et si ma nature pourra la supporter, je languis, comme emprisonné, dans l’incertitude et les tourments.

Une ride douloureuse se creusa entre ses sourcils, et ses joues s’empourprèrent ; puis il continua, précipitant ses paroles et avec une émotion croissante :

— Vous le voyez ! Torturé par mon amour, je le suis aussi par le doute. Votre doctrine, m’a-t-on dit, ne tient compte ni de la vie, ni des joies humaines, ni du bonheur, ni des lois, ni de l’ordre, ni de l’autorité, ni de la puissance romaine. En est-il vraiment ainsi ? On m’a même dit que vous étiez des fous. Dites-moi, qu’apportez-vous ? Est-ce un péché que d’aimer ? que d’