Page:Sienkiewicz - Quo vadis, 1983.djvu/302

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Le marbre ne brûle point, mais il s’effrite à la flamme. Le Capitole tombera en ruine, le Palatin aussi ! Ô Zeus ! Rome était le pasteur, les autres peuples les brebis. Quand le pasteur avait faim, il égorgeait une de ses ouailles, en mangeait la viande et t’en offrait, à toi, Père des dieux, la peau. Qui donc, Maître des nuées, égorgera maintenant les brebis ? Aux mains de qui mettras-tu le fouet du pasteur ? Rome brûle, ô Père, aussi bien que si toi-même l’avais embrasé de tes foudres !

— Avance donc ! — le pressait Vinicius. — Que fais-tu là-bas ?

— Je pleure sur Rome, seigneur, — répondit Chilon. — Une ville si olympienne !…

Quelque temps ils cheminèrent sans rien dire, attentifs au sifflement des flammes et aux bruits d’ailes des oiseaux. Des pigeons qui nichaient nombreux auprès des villas et dans les bourgades de la Campanie, et des oiseaux de toute espèce venus des bords de la mer et des montagnes circonvoisines, devaient prendre la clarté de l’incendie pour la lumière du soleil et accouraient en nuées, aveuglément, vers le feu.

Vinicius rompit le premier le silence.

— Où étais-tu quand l’incendie a éclaté ?

— J’allais, seigneur, chez mon ami Euricius, qui tenait boutique aux alentours du grand Cirque, et justement j’étais en train de méditer sur la doctrine du Christ, quand on s’est mis à crier au feu. Des gens s’étaient réunis près du Cirque, les uns pour se mettre à l’abri, les autres par curiosité ; mais quand le feu eût enveloppé le bâtiment et se fût déclaré bientôt à d’autres endroits, il me fallut bien songer aussi à me sauver.

— As-tu vu des gens jeter des torches dans les maisons ?

— Que n’ai-je pas vu, petit-fils d’Énée ? J’ai vu des hommes qui, le glaive au poing, se frayaient un passage dans la cohue ; j’ai vu des batailles, et, sur les pavés, les pieds écrasaient des boyaux humains. Ah ! seigneur, si tu avais vu cela, tu aurais pensé que les Barbares avaient pris d’assaut la ville et massacraient. Autour de moi, des gens criaient que c’était la fin du monde ; les uns, perdant la tête, ne songeaient même pas à fuir et, stupides, attendaient d’être enveloppés par le feu ; d’autres étaient devenus fous, hurlaient de désespoir. Mais j’en ai vu aussi qui hurlaient de joie ; car il y a de par le monde, seigneur, bien des méchantes gens qui sont incapables d’apprécier les bienfaits de votre clémente domination, et de ces justes lois qui vous permettent de prendre tout à tous pour vous l’approprier ! Les hommes ne savent point se soumettre à la volonté des dieux !

Vinicius était trop profondément plongé dans ses réflexions pour remarquer l’ironie de ces paroles. Il sentit passer en lui un frisson