Page:Sienkiewicz - Quo vadis, 1983.djvu/331

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je déteste Musonius et Cornutus. Leur langage et leur mépris de l’art me répugnent, ainsi que leur misère voulue et leur malpropreté.

— Seigneur, ton maître Sénèque a mille tables en bois de citronnier. Tu n’as qu’à le désirer et j’en aurai le double. Je ne suis stoïcien que par nécessité. Couvre seulement, ô Rayonnant ! mon stoïcisme d’une couronne de roses et mets devant lui une amphore de vin, et je chanterai Anacréon à faire taire tous les épicuriens.

Néron, satisfait de cette épithète de « Rayonnant », se mit à sourire :

— Tu me plais !

— Cet homme vaut son pesant d’or ! — s’écria Tigellin.

Chilon repartit :

— Ajoute, seigneur, ta générosité à mon propre poids, sinon le vent emportera la gratification.

— En effet, tu ne pèses pas autant que Vitellius, — opina Néron.

— Eheu ! divin archer à l’arc d’argent, mon esprit n’est point en plomb.

— La Loi, à ce que j’entends, ne te défend pas de me qualifier de dieu.

— Immortel ! ma Loi, c’est toi : les chrétiens blasphèment cette loi, c’est pourquoi je les hais.

— Que sais-tu des chrétiens ?

— Me permettras-tu de pleurer, divin ?

— Non, — répliqua Néron, — cela m’ennuierait.

— Et tu as trois fois raison, car les yeux qui t’ont contemplé devraient être à jamais affranchis des pleurs. Seigneur, défends-moi contre mes ennemis.

— Parle des chrétiens, — interrompit Poppée impatiente.

— Il sera fait comme tu l’ordonnes, Isis, — acquiesça Chilon. — Dès ma jeunesse, je me suis adonné à la philosophie et j’ai cherché la vérité. Je l’ai cherchée chez les sages anciens, et à l’Académie d’Athènes, et au Sérapéon d’Alexandrie. Lorsque j’entendis parler des chrétiens, je pensai que c’était une école nouvelle, où peut-être je trouverais quelques grains de vérité. Et, pour mon malheur, j’entrai en rapport avec eux ! Le premier d’entre eux dont me rapprocha ma mauvaise étoile fut, à Naples, un médecin nommé Glaucos. Par lui, j’appris peu à peu qu’ils adoraient un certain Chrestos, qui leur avait promis d’exterminer tous les hommes, d’anéantir toutes les villes de la terre, et de ne laisser vivre qu’eux seuls, à condition qu’ils l’aidassent dans l’œuvre d’anéantissement. C’est pourquoi, ô seigneur, ils haïssent les humains, fils de Deucalion, pourquoi ils empoisonnent les