Page:Sienkiewicz - Quo vadis, 1983.djvu/405

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Chilon s’effraya de la menace qui vibrait dans la voix de César.

— Seigneur, — dit-il, — je ne pourrai rien voir. Je ne vois rien, la nuit.

César répliqua avec un sinistre sourire :

— La nuit sera claire comme le plein jour.

Puis il se tourna vers les autres augustans et parla des courses qui devaient clore les jeux.

Pétrone s’approcha de Chilon et lui toucha le bras :

— Ne te l’avais-je pas dit : tu ne tiendras pas jusqu’au bout ?

L’autre pour toute réponse bégaya :

— Il faut que je m’enivre.

Et sa main tremblante s’allongea vers un cratère de vin, mais il n’eut point la force de le porter à ses lèvres. Alors, Vestinus lui reprit la coupe et, penchant vers lui un visage où se lisaient la curiosité et l’effroi, il lui demanda :

— Les Furies te poursuivent, dis ?

Le vieillard le regarda, la bouche bée, comme s’il n’eût pas compris la question et se mit à battre des paupières.

Vestinus redemanda :

— Les Furies te poursuivent ?

— Non, — répondit Chilon, — mais la nuit est devant moi.

— Comment, la nuit ? Que les dieux aient pitié de toi ! Comment, la nuit ?

— Une nuit atroce, insondable, où quelque chose grouille, s’avance vers moi. Et moi, je ne sais pas, et j’ai peur !

— J’ai toujours été sûr qu’ils étaient sorciers. Vois-tu quelque chose en sommeil ?

— Non, car je ne dors plus. Je ne pensais pas qu’on dût les torturer ainsi.

— Tu en as donc pitié ?

— Pourquoi tant de sang ? Tu as entendu ce que disait cet homme crucifié ? Malheur à nous !

— J’ai entendu, — répondit Vestinus en baissant la voix. — Mais ce sont des incendiaires.

— Ce n’est pas vrai !

— Des ennemis du genre humain.

— Ce n’est pas vrai !

— Des empoisonneurs de fontaines.

— Ce n’est pas vrai !

— Des égorgeurs d’enfants.

— Ce n’est pas vrai !

— Comment ? –fit Vestinus étonné. — Tu l’as prétendu toi-même et tu les as livrés à Tigellin.

— Aussi la nuit m’a enveloppé, et la mort vient vers moi… Parfois il me semble que je suis mort déjà, et vous autres aussi.