Page:Sienkiewicz - Quo vadis, 1983.djvu/429

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également pour eux deux, comme le passage d’une vie triste et pénible à un monde meilleur.

Parfois, il savourait d’avance la vie d’outre-tombe. La mélancolie qui régnait dans leurs âmes à tous deux avait perdu cette amertume qui les avait consumés et se transmuait peu à peu en un serein abandon à la volonté divine. Naguère, Vinicius résistait au courant, luttait et souffrait ; à présent, il s’y abandonnait complètement, ayant foi qu’il serait ainsi porté vers le repos éternel. Il devinait que Lygie se préparait, elle aussi, à la mort, et que leurs âmes, malgré les murs de la prison qui les séparaient, s’avançaient maintenant de concert ; et il souriait à cette pensée comme à un bonheur.

De fait, ils s’acheminaient dans un tel accord qu’on eût dit qu’ils se voyaient, qu’ils échangeaient longuement chaque jour leurs pensées. Lygie non plus n’avait aucun désir, aucun espoir, sinon l’attente de la vie d’outre-tombe. La mort lui apparaissait non seulement comme la délivrance de cette horrible enceinte de la prison, ainsi que des mains de César et de Tigellin, non seulement comme le salut, mais encore comme le jour béni de son union avec Vinicius. En face de cette certitude indéracinable, le reste perdait toute importance. Après la mort devait commencer pour elle un bonheur infini, et elle attendait cette heure comme une fiancée attend l’heure des épousailles.

Le même puissant torrent de foi, qui arrachait de la terre et portait au-delà de la tombe tant de milliers de ces premiers adeptes, s’était emparé d’Ursus. Longtemps, lui aussi, il n’avait point voulu se résigner en son cœur à voir mourir Lygie. Mais chaque jour leur parvenaient les échos de ce qui se passait dans les amphithéâtres et les jardins, où la mort semblait le sort inéluctable réservé à tous les chrétiens, et en même temps un bien supérieur à tous ceux que pouvait concevoir l’esprit d’un mortel. Et Ursus n’avait plus le courage d’implorer le Christ pour qu’il privât Lygie de ce bonheur ou le remît à plus tard. De plus, dans son âme simple de barbare, il se figurait qu’à la fille du chef des Lygiens devait forcément échoir en partage une plus grande source de joies célestes qu’à la foule ordinaire à laquelle il appartenait, et que, dans la gloire éternelle, une place plus rapprochée de « l’Agneau » serait réservée à sa reine. Il avait entendu dire, il est vrai, que devant Dieu tous les hommes sont égaux ; mais, au fond de son âme, il était convaincu que la fille d’un chef, et surtout du chef de tous les Lygiens, ne pouvait être assimilée à la première esclave venue. Il s’attendait aussi à ce que le Christ lui permît de continuer à la servir. Pour lui-même, il nourrissait le secret désir d’expirer sur la croix, ainsi que l’Agneau divin. Mais cela lui apparaissait comme un trop grand bonheur,