Page:Sienkiewicz - Quo vadis, 1983.djvu/432

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avisé, que l’on veut à juste titre nommer consul. Et le fait qu’au fond il réprouve les persécutions contre les chrétiens ne saurait t’être indifférent à toi, qui as intérêt à ce que prennent fin ces folies.

— Non, pas moi, mais Vinicius, — fit Pétrone. — À cause de lui, je voudrais sauver certaine jeune fille, mais je n’y parviens pas, car je suis en disgrâce auprès d’Ahénobarbe.

— Comment ? Tu ne t’aperçois donc pas que César te recherche à nouveau et te fait des avances. En voici la raison : il se prépare à retourner en Achaïe, où il veut chanter des hymnes grecs de sa composition. Il a hâte de faire ce voyage, mais en même temps il tremble en pensant à la perfidie des Grecs. Il croit que là lui sont réservés ou le triomphe le plus magnifique, ou la chute la plus complète. Il a besoin d’un bon conseil et il sait que personne ne saurait le lui donner mieux que toi. C’est pourquoi tu rentres de nouveau en grâce.

— Lucain pourrait me remplacer.

— Barbe d’Airain le hait, et, à part lui, il a déjà décidé la mort du poète. Il cherche uniquement un prétexte, car il cherche toujours des prétextes. Lucain comprend qu’il faut se hâter.

— Par Castor ! — s’écria Pétrone, — c’est possible. Quant à moi, j’ai encore un autre moyen de rentrer en faveur.

— Lequel ?

— Répéter à Barbe d’Airain ce que tu m’as dit tout à l’heure.

— Je n’ai rien dit ! — protesta Scævinus avec anxiété.

Pétrone lui posa la main sur l’épaule :

— Tu as dit que César était fou, tu as laissé entrevoir Pison comme son successeur probable, et tu as ajouté : « Lucain comprend qu’il faut se hâter. » — Se hâter de faire quoi, carissime ?…

Scævinus pâlit et un moment tous deux se regardèrent dans les yeux.

— Tu ne répéteras pas !

— Par les hanches de Cypris, tu me connais, toi ! Non, je ne répéterai pas. Je n’ai rien entendu, et je ne veux rien entendre… La vie est trop courte pour qu’on se donne la peine d’entreprendre quoi que ce soit. Je te demande seulement d’aller voir Tigellin tout à l’heure, et de causer avec lui durant le même temps qu’avec moi, sur le sujet que tu voudras.

— Pourquoi ?

— Afin que le jour où Tigellin viendrait me dire : « Scævinus a été chez toi », je puisse lui répondre : « Il est venu chez toi le même jour. »

Scævinus brisa sa canne d’ivoire et s’écria :

— Que les mauvais sorts retombent sur cette canne. J’irai chez