Page:Sienkiewicz - Quo vadis, 1983.djvu/434

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— Je sais, — répondit-il, en baissant son regard troublé. — J’ai songé à elle et aussi à ce géant qui a étouffé Croton.

— En ce cas, tous deux sont sauvés, — fit Pétrone imperturbable.

Mais Tigellin vint en aide à son maître.

— Elle est en prison par la volonté de César, et tu viens de dire, Pétrone, que les sentences de César sont sans appel.

Les assistants connaissaient tous l’histoire de Vinicius et de Lygie et comprenaient de quoi il retournait. Ils se turent, curieux de l’issue du conflit.

— Elle est en prison par erreur, parce que tu ignores le droit des gens, et au mépris de la volonté de César, — articula nettement Pétrone. — Tu es un homme naïf, Tigellin, mais en dépit de ta naïveté, tu n’affirmeras point que c’est elle qui a incendié Rome : si même tu l’affirmais, César ne te croirait pas.

Mais Néron était déjà revenu de son embarras, et il se mit à cligner ses yeux de myope avec une expression méchante.

— Pétrone a raison, — dit-il.

Tigellin le regarda étonné.

— Pétrone a raison, — répéta Néron. — Demain, les portes de la prison lui seront ouvertes, et, quant au festin d’hyménée, nous en recauserons après-demain, à l’amphithéâtre.

« J’ai encore perdu », songea Pétrone.

Et rentré chez lui, il était tellement convaincu que la fin de Lygie était venue que, le lendemain, il envoya au surveillant du spoliaire un affranchi dévoué, avec mission de traiter du prix du cadavre qu’il voulait, après le supplice, faire remettre à Vinicius.

Chapitre LXVI

Au temps de Néron étaient très en honneur, bien que rares, les représentations du soir dans les cirques et les amphithéâtres. Les augustans les prisaient, parce qu’elles étaient presque toujours suivies de festins et d’orgies qui se prolongeaient jusqu’au matin. Quoique le peuple fût déjà rassasié de sang, la nouvelle que la fin des jeux était proche et que les derniers chrétiens allaient mourir dans le spectacle du soir amena sur les gradins une foule considérable. Les augustans vinrent tous, avec l’intuition que César était résolu à s’offrir le spectacle de la douleur de Vinicius. Tigellin avait gardé le silence quant au genre de supplice réservé à la fiancée du jeune tribun ; et ce mystère ne faisait qu’aviver la curiosité générale. Ceux qui, jadis, avaient vu Lygie