Page:Sienkiewicz - Quo vadis, 1983.djvu/438

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Pour cette foule, il n’était pas de plus grand plaisir que de contempler de pareils muscles, tendus pour la lutte. Les murmures faisaient place aux exclamations, et l’on se demandait avec une sorte de fièvre quelle race pouvait produire de tels géants. Ursus, lui, demeurait immobile au centre de l’arène, semblant, en sa nudité, quelque colosse de marbre, dont le visage barbare reflétait une expression d’attente et de tristesse. Voyant l’arène vide, il promenait, étonné, ses yeux bleus et enfantins sur les spectateurs, sur César, puis sur les grilles des cunicules, d’où il attendait les bourreaux.

Quand il était entré sur l’arène, son cœur simple avait encore une fois tressailli de l’espoir que, peut-être, il mourrait sur la croix. Mais n’apercevant ni croix, ni aucun trou pour en planter une, il pensa qu’il était indigne d’une telle faveur, et qu’il lui faudrait finir d’autre façon, sans doute sous les crocs des fauves. Il était sans armes, et il avait résolu de mourir patiemment, en fidèle de l’Agneau. Et, dans le désir d’élever une dernière fois sa prière vers le Rédempteur, il s’agenouilla, joignit les mains et leva les yeux vers les étoiles qui scintillaient là-haut, par l’ouverture du velarium.

Cette attitude déplut à la foule. On était las de voir expirer des moutons. Si le géant refusait de se défendre, le spectacle allait être une déconvenue. Çà et là des sifflets retentirent. Il s’y joignit des voix appelant les mastigophores. Mais, peu à peu, le silence s’établit, car nul ne savait ce qui allait faire face au géant, ni si, devant la mort, il refuserait le combat.

L’attente fut courte. Soudain éclatèrent les cuivres stridents ; la grille opposée au podium impérial s’ouvrit et, dans l’arène, parmi les clameurs des bestiaires, se rua un monstrueux aurochs de Germanie avec, sur la tête, une femme nue.

— Lygie ! Lygie ! — s’écria Vinicius.

Et, saisissant des deux mains ses cheveux sur les tempes, il se tordit sur lui-même, tel un homme qui sent dans ses entrailles une douleur atroce, et il râla d’une voix rauque et inhumaine :

— J’ai foi ! j’ai foi !… Christ, un miracle !

Il ne sentit pas qu’au même instant Pétrone lui couvrait la tête de sa toge. Il crut que la mort ou la douleur lui enténébraient les yeux. Il ne regardait rien, ne voyait rien. Il se sentait envahi d’un vide effroyable. Nulle idée ne subsistait en lui, et seules ses lèvres répétaient dans un délire :

— J’ai foi ! J’ai foi ! J’ai foi !…

Subitement, l’amphithéâtre fut muet. Les augustans s’étaient levés de leurs sièges comme un seul homme : sur l’arène avait lieu quelque chose d’inouï. Le Lygien, humble tout à l’heure et prêt à la mort, à la vue de sa princesse ligotée aux cornes du taureau