Page:Sienkiewicz - Quo vadis, 1983.djvu/44

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

réunissait à ces festins. On y trouvait des sénateurs, ceux-là surtout qui consentaient à jouer le rôle de bouffons ; des patriciens, vieux et jeunes, assoiffés de plaisirs, de luxe et de débauche ; des femmes pourvues d’un grand nom et qui, le soir venu, s’affublaient de perruques fauves pour aller courir aventure dans les ruelles sombres ; des pontifes qui, la coupe pleine, raillaient leurs propres dieux. Parmi eux, un ramassis de chanteurs, de mimes, de musiciens, de danseurs et de danseuses ; des rimeurs qui, en déclamant leurs vers, calculaient de combien de sesterces seraient rétribuées leurs louanges aux vers de César ; on y voyait aussi des philosophes affamés qui suivaient les plats avec des regards de gloutons ; des cochers en renom, des prestidigitateurs, des thaumaturges, des conteurs, des baladins, une foule de charlatans et de gueux, dotés par la mode ou par la sottise d’une notoriété éphémère, et parmi lesquels un certain nombre dissimulaient sous des boucles un peu longues leurs oreilles percées, marque de l’esclavage.

Le dessus du panier prenait place à la table ; le menu fretin, lui, servait aux interludes, guettant le moment où les gens de service jetteraient en pâture à son avidité les restes des mets et des boissons. Cette catégorie d’invités était recrutée par Tigellin, Vatinius et Vitellius, obligés souvent de fournir à cette racaille des oripeaux qui fussent dignes de figurer dans le palais de César. Celui-ci, d’ailleurs, aimait cette société, parmi laquelle il se sentait à l’aise. Le luxe de la cour dorait tout, couvrait tout de splendeur. Grands et petits, descendants de nobles familles et tourbe de la rue, artistes véritables et pitoyables scories du talent, tous affluaient au palais pour rassasier leurs yeux du luxe aveuglant qui dépassait toute imagination, pour approcher de ce dispensateur de tous les bienfaits, de toutes les richesses, dont un caprice pouvait, ou les précipiter dans l’abîme, ou les porter au faîte.

C’est à un tel festin que Lygie devait ce jour-là prendre place. La crainte, la timidité, si naturelles après le choc soudain qu’elle venait de subir, luttaient dans son cœur avec le désir de la révolte. Elle avait peur de César, peur des hommes, peur de ce palais en rumeur, peur de ces fêtes dont les conversations d’Aulus, de Pomponia Græcina et de leurs amis, lui avaient révélé l’ignominie. Malgré sa jeunesse, elle n’était pas une ingénue : en ces temps troublés, la notion du mal arrivait de bonne heure jusqu’aux oreilles des enfants. Elle n’ignorait donc pas que dans ce palais on comploterait sa perte ; Pomponia l’en avait avertie déjà au moment de leur séparation. Mais l’âme juvénile de Lygie n’avait pu être dissolue encore, et, ayant accueilli la haute doctrine que lui avait enseignée sa mère adoptive, elle jura de se défendre,