Page:Sienkiewicz - Quo vadis, 1983.djvu/453

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Il se jeta à genoux, les bras étendus. Et de ses lèvres jaillit :

— Christ ! Christ !…

Et il s’abattit, le visage contre terre, comme s’il eût baisé des pieds invisibles.

Longtemps, le silence régna. Puis la voix du vieillard s’éleva, brisée de sanglots :

Quo vadis Domine ?…

Nazaire n’entendit point la réponse ; mais aux oreilles de l’Apôtre parvint une voix vague et douce, qui disait :

— Lorsque tu abandonnes mon peuple, je vais à Rome, pour qu’une fois encore on me crucifie !…

L’Apôtre restait étendu sur la route, le visage dans la poussière, sans un mouvement, sans un mot. Nazaire croyait qu’il avait perdu connaissance, ou qu’il était mort. Mais lui se leva enfin, reprit dans ses mains tremblantes son bâton de pèlerin, et, sans parler, se retourna et fit face aux sept collines.

Et comme le jeune garçon lui répétait comme un écho :

Quo vadis Domine ?…

— À Rome, — lui répondit doucement l’Apôtre.

Et il revint vers Rome.


Paul, Jean, Linus et tous les fidèles l’accueillirent avec surprise et avec d’autant plus d’anxiété qu’après son départ, les prétoriens, cherchant l’Apôtre, avaient cerné la maison de Myriam. Mais à toutes les questions des fidèles, Pierre répondait avec une joie paisible :

— J’ai vu le Seigneur !…

Le même soir, il se rendit au cimetière d’Ostrianum pour y enseigner la parole de Dieu et baptiser ceux qui voulaient être baignés dans l’eau de la vie.

Dès lors, il y vint tous les jours, suivi de foules de plus en plus nombreuses. Il semblait que chaque larme de martyr fit naître de nouveaux adeptes, et que chaque gémissement dans l’arène eût un écho dans des milliers de poitrines. César nageait dans le sang ; Rome et tout l’univers païen déliraient. Mais ceux qui étaient las de crime et de démence, ceux dont la vie était faite d’infortune et d’immolation, tous les opprimés, tous les affligés, tous les déshérités, venaient écouter l’étrange histoire de ce Dieu qui par amour des hommes s’était laissé crucifier, et avait racheté leurs péchés.

Et, retrouvant un Dieu qu’ils pouvaient aimer, ils retrouvaient ce que le monde n’avait pu leur donner jusqu’ici : le bonheur par l’amour.

Et Pierre comprit que désormais ni César, ni toutes ses légions,