Page:Sienkiewicz - Quo vadis, 1983.djvu/61

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Mais, de l’épervier d’or tendu sur eux, ne tombaient que des roses… Et Vinicius, à demi ivre, disait à Lygie :

— Je t’ai vue dans la maison d’Aulus, auprès de la fontaine, et je t’ai aimée. C’était à l’aube ; tu croyais n’être vue de personne, et je t’ai vue, moi !… Et je te vois toujours ainsi, malgré ce péplum qui te dérobe à mon regard. Laisse-le glisser, comme Crispinilla. Vois, les dieux et les hommes ont soif d’amour. Il n’y a rien autre en ce monde ! Pose ta tête sur ma poitrine et ferme les yeux.

Le sang affluait et battait avec violence aux tempes et aux poignets de Lygie ; elle eut peur, se sentit comme précipitée dans un abîme ; et ce même Vinicius, qui lui avait paru tout d’abord si proche et si dévoué, au lieu de venir à son secours, l’attirait maintenant vers cet abîme. Elle eut un regret, fut peinée de ce changement. De nouveau, elle eut peur de ce festin, de Vinicius et d’elle-même. Une voix qui lui rappelait celle de Pomponia s’élevait dans son âme : « Reprends-toi, Lygie ! » Mais quelque chose aussi lui criait qu’il était déjà trop tard. Quiconque a brûlé d’une pareille flamme, a assisté à tout ce qui se passait dans ce festin, a senti battre son cœur comme battait celui de Lygie quand elle écoutait les paroles de Vinicius, a été secoué d’un frisson semblable à celui qu’elle avait ressenti quand il s’était approché d’elle, est perdu sans retour.

Elle se sentait faiblir. Il lui semblait par instants qu’elle allait perdre ses sens et qu’il en résulterait quelque chose de terrible. Elle savait que, sous peine de s’attirer la colère de César, personne ne pouvait se lever avant lui ; d’ailleurs, même sans cette interdiction, elle n’eût pas eu la force de s’éloigner.

Cependant, le festin n’était pas près d’être achevé. Les esclaves apportaient toujours de nouveaux mets et remplissaient de vin les coupes.

Devant la table, disposée en fer à cheval, parurent deux athlètes prêts à donner aux convives le spectacle de la lutte.

Ils commencèrent aussitôt. Leurs torses puissants, luisants d’huile, se fondirent en un seul bloc vivant, tandis que leurs os craquaient sous l’effort de leurs bras de fer et que de leurs mâchoires s’échappait un grincement sinistre. Les dalles, poudrées de safran, résonnaient par instants du choc sourd de leurs pieds. Puis, soudain, ils s’immobilisèrent, impassibles, et il sembla aux spectateurs qu’ils avaient devant eux un groupe taillé dans de la pierre. Les Romains suivaient avec délices le mouvement des échines affreusement bandées, des mollets et des bras. Toutefois, la lutte fut de courte durée, Croton, maître et chef de l’école des gladiateurs, passant à bon droit pour l’homme le plus fort de l’Empire. Bientôt le souffle de son adversaire devint haletant ;