Page:Sienkiewicz - Quo vadis, 1983.djvu/79

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— En effet, — appuya Pétrone. — Veux-tu qu’en attendant je te parle des prophéties d’Apollonius de Tyane, ou bien que je finisse l’histoire de Rufin, cette histoire que je ne t’ai pas achevée, je ne sais plus pourquoi ?

Mais Vinicius s’intéressait aussi peu à Apollonius de Tyane qu’à Rufin. Sa pensée ne pouvait se détourner de Lygie, et, bien qu’il jugeât plus convenable de la recevoir chez lui que de l’aller chercher en maître au palais, il le regrettait, car il eût pu la voir plus tôt et s’asseoir auprès d’elle dans l’obscurité de la litière.

Cependant les esclaves apportèrent des trépieds ornés de têtes de béliers, et jetèrent sur les charbons des morceaux de myrrhe et de nard.

— Ils sont déjà au tournant des Carines, — dit de nouveau Vinicius.

— Il n’y tiendra pas et courra au-devant d’eux ; et il les manquera, c’est probable ! — s’écria Chrysothémis.

Vinicius eut un sourire inconscient :

— Point du tout.

Néanmoins, de ses narines dilatées, s’exhalait un souffle bruyant. Pétrone haussa les épaules.

— Pas philosophe pour un sesterce, — fit-il ; — jamais, de ce fils de Mars, je ne ferai un homme.

Vinicius ne l’entendit même pas.

— Ils sont déjà aux Carines !…

En effet, la litière de Lygie tournait vers les Carines. Des esclaves, appelés lampadarii, la précédaient, tandis que des pedisequi l’encadraient de chaque côté. Atacin suivait, veillant sur tout.

On avançait lentement, car les rues n’étaient pas éclairées et les torches des lampadarii étaient insuffisantes. De plus, les rues désertes avoisinant le palais, et où se glissait de-ci, de-là un homme avec sa lanterne, se peuplaient de façon inaccoutumée. De chaque ruelle émergeaient des groupes de trois ou quatre hommes, sans torches et vêtus de manteaux sombres. Les uns se joignaient aux esclaves qui escortaient la litière ; d’autres, par groupes plus imposants, allaient à sa rencontre. Certains titubaient comme des ivrognes. Par instants, il était si difficile d’avancer que les lampadarii étaient obligés de crier :

— Place pour le noble tribun Marcus Vinicius !

Par les rideaux entrebâillés, Lygie apercevait ces hommes en manteaux sombres, et elle se mit à trembler d’émotion. L’espoir et la frayeur alternaient dans son cœur.

— C’est lui, c’est Ursus avec les chrétiens ! C’est pour tout de suite, — balbutiaient ses lèvres frémissantes. — Ô Christ, aide-nous ! Christ, sauve-moi !