Page:Sieyès-Qu'est ce que le tiers état-1888.djvu/11

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Qu’est-ce que le tiers état ? celle qui est consacrée à la critique des abus et aux demandes du tiers eut bien plus de succès que celle où il est traité des mesures à prendre. Dans le chapitre VI, le dernier et le plus long, qui est intitulé : Ce qui reste à faire, Sieyès indique les moyens qu’il estime les plus sûrs pour mettre le tiers en possession de ses droits politiques d’une manière utile à la nation. Aucun de ces moyens ne fut employé. On ne voit même pas qu’il ait été jamais question de suivre l’un ou l’autre des plans tracés par Sieyès. Il n’avait pas eu de peine à faire sentir « la timide insuffisance de ces réclamations du tiers qui se ressentaient encore des vieux temps » ; il avait bien démontré que le tiers ne devait pas se contenter à si bon marché, se borner à être « le moins possible », qu’on ne tenait pas assez compte du progrès des lumières ; il demandait que, toute trace de privilèges étant effacée, les députés du tiers s’érigeassent seuls en une assemblée nationale d’où les députés du clergé et de la noblesse seraient exclus ou mieux encore que tous les députés des trois ordres fussent écartés et qu’à leur place on convoquât les représentants de la nation sans aucune espèce de distinction d’ordres ou de castes. Ces conseils n’ont pas prévalu et ne pouvaient prévaloir. La France était encore « trop pénétrée du respect pour les rangs et du sentiment d’une subordination nécessaire »[1]. Et même en la supposant assez émancipée pour goûter les avis de Sieyès, comment s’y serait-elle prise pour les suivre ? La force des choses ne l’aurait pas permis. Sieyès lui-même ne semble pas avoir pris ses plans très au sérieux : du moins ne se faisait-il pas d’illusion sur le sort qui leur était réservé. Il n’aurait pas voulu se charger de les mettre en pratique.

  1. Target, Les États généraux convoqués par Louis XVI, les trois parties ensemble, p. 110. Target dit plus loin : Dans cette liberté générale d’écrire n’a-t-on pas respecté jusqu’aux idées du préjugé ?