Page:Sieyès-Qu'est ce que le tiers état-1888.djvu/112

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

consolider le désordre social, il ne restait plus qu’à donner à ces terribles jurandes une prépondérance réelle sur le grand corps de la nation, et c’est ce qu’on pourrait accuser le législateur d’avoir fait en France, s’il ne fallait pas plutôt s’en prendre au cours aveugle des événements ou à l’ignorance et à la férocité de nos devanciers, de la plupart des maux qui affligent ce superbe royaume. Nous connaissons le véritable objet d’une assemblée nationale ; elle n’est point faite pour s’occuper des affaires particulières des citoyens, elle ne les considère qu’en masse et sous le point de vue de l’intérêt commun. Tirons-en la conséquence naturelle que le droit à se faire représenter n’appartient aux citoyens qu’à cause des qualités qui leur sont communes, et non pas celles qui les différencient.

Les avantages par lesquels les citoyens diffèrent entre eux sont au delà du caractère de citoyen. Les inégalités de propriété et d’industrie sont comme les inégalités d’âge, de sexe, de taille, etc. Elles ne dénaturent point l’égalité du civisme. Sans doute, ces avantages particuliers sont sous la sauvegarde de la loi ; mais ce n’est pas au législateur à en créer de cette nature, à donner des privilèges aux uns, à les refuser aux autres. La loi n’accorde rien, elle protège ce qui est, jusqu’au moment où ce qui est commence à nuire à l’intérêt commun. Là seulement sont placées les limites de la liberté individuelle. Je me figure la loi au centre d’un globe immense ; tous les citoyens, sans exception, sont à la même distance sur la circonférence et n’y occupent que des places égales ; tous dépendent également de la loi, tous lui offrent leur liberté et leur propriété à protéger ; et c’est ce que j’appelle les droits communs des citoyens, par où ils se ressemblent tous. Tous ces individus correspondent entre eux, ils s’engagent, ils négocient, toujours sous la garantie commune de la loi. Si dans ce mouvement général quelqu’un veut dominer la personne de son voisin, ou usurper sa propriété, la loi commune réprime cet attentat, et remet tout le monde à la même distance d’elle-même. Mais elle n’empêche point que chacun suivant ses facultés naturelles et acquises, suivant des hasards plus ou moins favorables, n’enfle sa propriété de tout ce que le sort prospère, ou un travail plus